La générosité

“La personne généreuse agit de façon joyeuse et désintéressée en faveur des autres, consciente de la valeur de ce qu’elle leur apporte, et même si cela coûte un effort”.

La générosité est une vertu difficile à apprécier avec objectivité. En jugeant des actes généreux, nous nous intéressons plus à l’aide apportée qu’à la générosité elle-même. Si quelqu’un d’aisé offre une somme importante à un parent nécessiteux, nous le trouvons logiquement “généreux”, alors que ce don ne lui a probablement pas coûté. Quel est le motif de son acte ? la conscience d’un besoin chez ce parent ? Un sentiment de culpabilité ? Il y a différentes façons d’être généreux ; mais la générosité dépend à la fois de l’effort qu’elle implique et de l’intention qui la motive.

On peut agir en faveur d’autrui de bien des manières, comme donner ou prêter des choses, offrir de son temps, pardonner, écouter, saluer, recevoir ; tous ces actes impliquent une décision. La générosité, c’est réaliser quelque chose de bien, volontairement ; c’est décider librement de ses dons, non pas au hasard, ou pour se débarrasser.

Savoir apprécier ce que l’on a

Une des principales facettes de la générosité est la capacité d’attribuer une valeur ajoutée à ce que nous possédons. La générosité présuppose une faculté d’appréciation, qui peut être amoindrie par un jugement superficiel, une mauvaise évaluation de ses biens ou de ses possibilités, que l’on retrouve dans des expressions du type : “je ne suis pas capable...”, “je n’ai pas le temps...”, “je ne sais pas faire...”, alors que, bien souvent, ni la capacité, ni le temps, ni le savoir-faire, mais le manque de confiance en soi ou une mauvaise appréciation de ses aptitudes sont en cause. Par ailleurs, l’évaluation des biens est difficile : un jouet coûteux a-t-il plus de valeur que deux heures de mon temps ? La réponse à cette question demande une hiérarchie des valeurs. Si l’on prend comme critère “la joie de l’enfant”, mes deux heures valent assurément plus.
La difficulté à évaluer des biens obligent à un examen plus approfondi de leurs différents aspects. Les biens tangibles, argent et objets, peuvent, bien sûr, être donnés, offerts ou prêtés. Cependant, certains ont tendance à donner ce qui leur est superflu, sans tenir compte des besoins réellement éprouvés. A l’inverse, il ne faut pas être généreux au point de ne plus pouvoir assurer dignement son propre entretien. Le père de famille est responsable en priorité de son épouse et de ses enfants. Il ne doit subvenir aux besoins des autres qu’en second lieu .
Un autre danger consiste à donner des biens matériels comme un moindre mal, pour s’épargner l’effort d’un don plus exigeant. C’est le cas du père qui comble ses enfants de cadeaux pour compenser le peu de temps qu’il passe avec eux.
On peut aussi donner de son temps. En fait, la disponibilité pourrait se définir comme la “générosité de son temps”. Etre généreux de son temps signifie être disposé à sacrifier à autrui un temps que l’on s’était réservé, par exemple interrompre la lecture du journal pour écouter un enfant, s’organiser de façon à passer dans le calme un moment avec sa femme, ou s’occuper d’un ami. La valeur du temps se mesure trop communément en termes de rentabilité, de résultats visibles à court-terme ; c’est pourquoi les critères établis ont très peu de valeur intrinsèque. En effet, la valeur du temps se mesure souvent par l’argent qu’il rapporte ou le nombre de contacts professionnels qu’il permet d’obtenir. Alors qu’un temps bien utilisé peut être celui au terme duquel on a obtenu le sourire d’un enfant auparavant triste ou mécontent. On peut être généreux de son temps en travaillant, ou en créant une ambiance propice aux sentiments de sérénité, de tranquillité, de sécurité, d’unité propres à un véritable foyer. En ce sens, et tout spécialement dans ce cas, il faut citer la valeur de la présence du père à la maison.
Est généreux celui qui, pour rendre la vie agréable aux autres, fait des efforts pour être aimable et poli envers ceux qui l’ennuient.
Mais il ne s’agit pas seulement de donner. On peut manquer de générosité en ne sachant pas recevoir, en empêchant les autres de se montrer généreux à notre égard. C’est ainsi que certaines mères se surpassent en attentions pour leurs enfants. Elles ne leur permettent pas de contribuer au bien de la famille et les axent uniquement sur leur succès personnel ou leur bien-être. Même s’il part d’une bonne intention, ce comportement est néfaste car l’être humain est fait pour s’oublier, se donner aux autres. Certes, il est plus facile de faire le travail soi-même que d’inciter les enfants à le faire. Mais ce faisant, on les prive d’occasions d’être généreux.
Jusqu’à présent, nous avons parlé des actes généreux des membres d’une famille et les efforts qu’ils impliquent. Mais il est un acte encore plus coûteux, l’aptitude à “pardonner”, qui présuppose une grande sécurité intérieure et le désir de servir les autres. Pardonner ne signifie pas minimiser les actes d’autrui, ni être naïf, mais lui reconnaître le droit à notre amour, à notre générosité (parce qu’il nous a offensé), en lui montrant qu’on ne l’a pas pour autant rejeté. C’est lui faire comprendre que, malgré ce qu’il nous a fait, nous l’accueillons, nous croyons en sa capacité d’amélioration.

Motifs de la générosité

Il semble donc évident que, pour être généreux, il faut avoir des occasions de s’y exercer. Cela fait appel à la volonté, éclairée par la raison. Considérons à présent d’autres aspects de la définition initiale. Nous avons dit : “la personne généreuse agit de façon désintéressée en faveur des autres”.
Chez les jeunes enfants, la générosité est habituellement peu développée, car ils ne savent apprécier ni ce qu’ils ont, ni les besoins d’autrui, et ne sont pas encore capables de fournir beaucoup d’efforts. C’est pourquoi ils se montrent souvent très possessifs et incapable de partager. Ou, au contraire, ils sont complètement indifférents et distribuent leurs biens au hasard, sans tenir compte des besoins des autres. On peut identifier trois situations typiques que l’on retrouve à tout âge :
- les actes “généreux” uniquement en faveur des personnes aimées ;
- les actes “généreux” dans l’espoir d’une contrepartie ;
- les actes “généreux” intéressés.

Nous allons aborder chaque situation au cas pas cas.
Il est bien plus facile d’agir en faveur d’une personne sympathique. Les enfants (ainsi que les plus grands) ont tendance à se montrer généreux envers un frère ou un ami. Par contre ils éprouvent des difficultés à l’égard des autres. On rencontre ce type de comportement aussi bien chez les enfants que chez les adolescents, même si les enfants voient plutôt les choses en noir ou blanc. Ils trouvent les gens sympathiques ou antipathiques, sans nuance. Et leur générosité se porte tout naturellement vers les premiers.
Est donc généreux celui qui, en fonction d’une hiérarchie des valeurs, s’occupe de ceux qui ont en ont le plus besoin sans uniquement tenir compte de critères de sympathie.
L’enfant ne peut évidemment pas atteindre ce niveau de générosité. Il devra d’abord apprendre à faire des efforts envers ceux qui lui sont sympathiques, en cherchant à leur faire plaisir. C’est pourquoi l’une des véritables motivations de la générosité est d’en voir les effets dans la vie des autres. En accueillant les petits efforts de leurs enfants par un sourire ou un remerciement enthousiaste, les parents les motivent à persévérer et, plus tard, à se comporter de la même façon vis-à-vis des autres.
La seconde situation fait référence à “l’acte généreux dans l’espoir d’une contrepartie”. Un enfant prête volontiers à un camarade, tout en sachant que, si besoin était, l’autre serait obligé de lui rendre l’appareil. La motivation, dans ce cas, est la contrepartie elle-même, et il n’y a rien de mal à cela. On ne peut leur demander plus que ce qu’ils peuvent donner. C’est pourquoi il faudra leur fournir de multiples occasions de faire des efforts, fussent elles futiles. Ils acquièrent ainsi l’habitude de donner, de pardonner, et l’on pourra par la suite les encourager à pratiquer cette vertu pour de meilleurs motifs.
Une illustration peut nous aider à mieux comprendre. À la veille des fêtes de Noël, un enfant reçoit un paquet de bonbons. Le jour de Noël, ses parents reçoivent douze personnes, et sa mère lui dit : “Si tu offrais un bonbon à chacun ?” Lui sait que la boîte en contient quinze et, par un calcul rapide, s’aperçoit qu’il ne va lui en rester que trois. Aussi répond-il à sa mère : “Je ne veux pas”. La maman se fâche, prend les bonbons qu’elle offre elle-même en disant à son fils : “Ainsi, tu apprendras à être généreux”. Évidemment, l’enfant pense intérieurement : “Si c’est ça la générosité, pas pour moi. C’est nul…”.
Dans ce cas, la mère aurait pu lui suggérer d’offrir uniquement un bonbon à ses cinq cousins. Si l’effort avait été encore trop grand pour l’enfant, elle aurait dû accepter la situation calmement et lui expliquer les raisons pour lesquelles son geste aurait été apprécié, et attendre une autre occasion de l’engager dans cette démarche.
Le don intéressé est bien différent. Il n’entraîne pas le développement de la générosité. La personne pense d’abord aux bénéfices qu’elle va pouvoir en tirer et, seulement ensuite, à autrui. Le don intéressé conduit plutôt à l’égoïsme. Par ailleurs, l’enfant a tendance à être égocentrique. Le monde tourne autour de sa personne. L’égocentrisme n’est pas grave en soi, à condition que, lorsque l’enfant découvre que les autres ont besoin de lui, il ne ramène pas tout à lui.
Le ressort de la générosité est donc souvent le désir de faire plaisir à quelqu’un qui nous est sympathique ou l’espoir d’une contrepartie. Cependant, les parents peuvent ouvrir de nouveaux horizons à leurs enfants en leur suggérant des actions qui peuvent être de vraies preuves de générosité, ou en leur expliquant le besoin dans lequel se trouve une personne, pour qu’ils se surpassent et développent l’habitude d’agir en faveur des autres. Il sera alors beaucoup plus facile d’obtenir un progrès si les parents donnent l’exemple et si chacun participe et rend service en famille. C’est la raison pour laquelle il très utile de donner aux enfants des petits travaux réguliers à faire à la maison. Les parents devraient aussi apprendre aux enfants la valeur de leurs biens : l’argent, les objets, la possibilité de pardonner, le temps, etc.
Les enfants peuvent ainsi acquérir l’habitude de donner, habitude fondée sur la juste appréciation de ce qu’ils possèdent et de leur capacité à aider les autres. Pour compléter le tout, ils doivent aussi comprendre ce que représentent “les besoins des autres”.

Les besoins des autres

La générosité ne doit jamais conduire à satisfaire les caprices d’autrui. C’est pourquoi il faut agir avec prudence. Il est clair que, sans la prudence, aucune vertu n’a de sens. Il s’agit en l’occurrence de rendre service, mais après avoir pris quelques précautions, ce qui suppose une appréciation correcte sur notre propre situation et sur celle de l’autre. Il faut connaître le but poursuivi, puis décider et agir de façon cohérente.
Centrons nous sur les adolescents. Les jeunes de treize ans et plus savent, de leur propre expérience, comment agir en faveur des autres, même si les parents ne les ont jamais aidés de façon systématique. Cependant, leurs motifs peuvent être erronés ou superficiels.
La générosité des adolescents ne connaît pas de limites. Ils ont le souci des autres, de ceux qui meurent de faim en Inde, mais ils ne savent pas faire le lien entre leurs propres possibilités et la réalité. Ils reconnaissent l’indigence des autres en général, de façon abstraite, mais ils ne se rendent pas compte que leurs parents et ceux qu’ils côtoient ont également besoin d’eux. Comme nous l’avons dit, ils ont tendance à classifier et ne prêtent attention qu’à un cercle restreint, tout en parlant de servir un monde lointain.
D’autre part, l’adolescent a besoin de faire des expériences : il lui faut éprouver sa possibilité d’agir de façon autonome. Et si les parents ne parviennent pas à canaliser leurs inquiétudes, il est possible que les jeunes dévient en rencontrant “la solution”, notamment à travers la drogue ou le sexe.
C’est pourquoi il faut reconnaître que le travail principal des parents consiste à donner à leurs enfants une connaissance approfondie des critères qui pourront gouverner pleinement leur vie, puis les laisser agir, au besoin en les orientant.
En ce qui concerne la générosité, il faudra les encourager le plus tôt possible pour qu’ils continuent d’agir, avec plus d’initiative personnelle, au service des autres. Pour cela, la générosité développée a besoin de la force : la capacité d’entreprendre et de lutter pour ce qui, on le sait, en vaut la peine.
Un autre problème est celui de la facilité avec laquelle les adolescents confondent besoins des autres et caprices personnels. En effet, ils arrivent à repérer chez les autres des besoins qui coïncident avec leurs propres goûts, tout en négligeant d’apporter une aide réelle aux personnes qui sont le plus en droit de la recevoir : leur famille et leurs camarades. Les adolescents ont besoin de raisons, non sous la forme d’une argumentation exhaustive mais d’une information claire et concise. Si, comme nous l’avons dit, le développement de cette vertu dépend de l’intensité qu’on y met et de la droiture d’intention qui la sous-tend, il est clair que la raison joue un rôle important.

Donner et se donner

Il est indispensable que les actes généreux ne soient pas isolés des intentions. On trouve en effet une routine fondée sur des actes superficiellement “généreux”. On ne peut éviter cet écueil qu’en cherchant quotidiennement à s’améliorer. Mais cela ne suffit pas. Pour être en évolution permanente, la générosité doit se fonder sur la conviction profonde que les autres ont droit à notre aide et que Dieu nous a créés pour servir.
C’est pourquoi le concept de “se donner” prime sur celui de donner. On peut donner sans s’identifier avec la chose donnée, sans sympathiser avec l’autre. L’acte n’en est pas moins un signe visible pour les autres. Mais c’est, en même temps, un signe trompeur. Ce que nous voulons, c’est donner de façon inconditionnelle, c’est-à-dire “se donner”. Mais pour se donner, il faut se connaître et, dans une certaine mesure, se posséder. On confond souvent les deux concepts “se donner” et “s’abandonner”. Il ne s’agit pas de donner n’importe quoi, à n’importe qui, n’importe quand. Cela serait s’abandonner, donner sans discernement ou encore gaspiller nos biens sans les apprécier à leur juste valeur. Pour mieux comprendre, prenons l’exemple du corps. Si l’on ne saisit pas la valeur et la dignité du corps, on peut arriver à l’abandonner et se justifier en disant : “ainsi, je donne du plaisir à l’autre”. Un professionnel ne céderait pas son emploi spécialisé à un clochard, même pour lui faire plaisir. Il est d’autant plus raisonnable de réserver son corps pour pouvoir le donner avec générosité dans une relation bénie par Dieu - le mariage - quand l’autre reconnaît et respecte la grandeur de ce don.

La générosité et l’amour

Sans entrer à proprement parler dans l’éducation à l’amour, il ressort qu’en parlant de générosité, nous parlons d’une manifestation de l’amour. On peut comprendre l’amour comme une vibration fondamentale de l’être vers le bien. Et comme le dit Hervada “s’il est certain qu’on observe des constantes dans l’amour, l’amour est toujours différent. Il n’existe pas un même type d’amour applicable à tous les objets, car l’amour naît d’une relation préexistante entre la personne et l’objet de son amour ; des objets de différentes valeurs et touchant différemment la personne présupposent des relations distinctes et, par conséquent, différents types d’amour”.
La générosité, en tant que vertu, permet de traduire la possibilité fondamentale d’aimer dans des actes de service. Les motifs de l’amour diffèrent à chaque fois mais, comme “Dieu est Amour”, il est logique que le motif ultime soit l’amour de Dieu. Dans la vie quotidienne, nous-mêmes et nos enfants avons besoin d’aide pour agir de façon cohérente avec ce que nous savons être notre fin ultime. Ces aides nous permettent de retrouver la “vibration fondamentale de l’être vers le bien” et de la mettre en oeuvre.
Eduquer à la générosité ne peut pas être une option. C’est fondamental pour que l’être humain parvienne à sa plénitude, pour qu’il se possède et qu’il progresse dans le service de Dieu et des autres.
L’égoïsme forgé par la société de consommation, par la commodité et par le laisser aller, doit être contrecarré par la force et par le don sans réserve de tous ceux qui veulent agir en enfants de Dieu responsables et généreux.

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