La persévérance

“Une fois sa décision prise, la personne persévérante met en oeuvre les moyens nécessaires pour atteindre le but poursuivi, en dépit des difficultés internes ou externes, et même si sa motivation s’affaiblit au fil du temps”.

Dans la large gamme des vertus humaines, un bon nombre ont perdu de leur sens dans le langage courant. La persévérance, au contraire, fait partie des vertus les mieux comprises et les plus appréciées. Deux précisions restent néanmoins nécessaires. La persévérance n’est pas compatible avec l’obstination. Après avoir pris une décision, il ne s’agit pas de poursuivre à tout prix notre objectif si on s’aperçoit qu’on s’est trompé soit sur la fin, soit sur les moyens ; si vient une série d’impondérables dictant à toute personne douée de sens commun qu’il serait imprudent de s’entêter. D’autre part, il ne faut pas confondre persévérance et routine. Il ne suffit pas d’adopter une conduite et de la maintenir sans raison en la justifiant, pour les besoins de la cause, par quelque noble fin.
Notre propos ici est d’étudier ce que signifie “atteindre le but poursuivi” et de trouver des solutions aux difficultés éventuelles, de façon à pouvoir former nos enfants à cette vertu. Il faudra tout spécialement y travailler dès l’âge de raison - environ 7 ans - jusqu’à l’adolescence, car son développement dépend en grande partie de la capacité des parents à exiger de leurs enfants, même si leur manière de les guider et de les motiver a également son importance.
Au début de l’adolescence, les enfants sont habituellement peu disposés à recevoir des ordres de leurs parents. Tout au plus acceptent-ils que ceux-ci les forcent à réfléchir. Or réfléchir avant d’agir est important car la constante pour exécuter une décision requiert des qualités particulières. Et là, les parents peuvent difficilement intervenir. Par ailleurs, ils peuvent guider leurs enfants dès que ceux-ci en ont besoin. Pour que les enfants aient recours à cette orientation, il leur faut reconnaître que leurs parents sont réellement en mesure de les aider et désireux de le faire. Les parents doivent donc se mettre au courant des centres intérêts et des projets de leurs enfants, en leur montrant qu’ils sont disponibles.
Considérons cette vertu plus spécialement entre 7 et 13 ans.

Le développement des habitudes

Nous retrouvons ici les deux paramètres intervenant dans le développement de toutes les vertus : l’intensité avec laquelle elles sont vécues et la droiture d’intention qu’on met à les exercer. Selon l’âge de la personne, les occasions ne manquent pas de pratiquer la persévérance. Il nous suffit de penser qu’elle est nécessaire au développement de toutes les autres vertus. Bien souvent, les tout petits n’ont pas de motifs suffisants pour faire des efforts prolongés. Il est logique que, une fois fatigués, ils abandonnent leur activité et passent à autre chose. En effet, les enfants n’ont pas l’habitude de voir loin ni de se poser des problèmes à moyen ou long terme. C’est pourquoi le seul motif de leur persévérance est encore l’obéissance.
De toute évidence, avant l’âge de 7 ans, les parents peuvent, avec prudence, c’est-à-dire en étant très exigeants sur peu de choses, obtenir l’acquis d’habitudes liées à la persévérance. Par exemple terminer un jeu commencé, tenir ses promesses (à condition qu’elles soient raisonnables), finir son assiette, bien faire son travail, réaliser ponctuellement les tâches qui ont été confiées dans la maison. Le but est finalement l’acquisition de quelques habitudes moyennant un effort. Ces habitudes peuvent être liées à n’importe quelle vertu. A cet âge, ces habitudes n’ont guère de sens pour l’enfant, mais les parents lui donneront les explications nécessaires en temps voulu.
Pour que ces habitudes revêtent peu à peu une signification, il est souhaitable que l’enfant reconnaisse l’opportunité et l’utilité de ce qu’il est en train de faire. C’est pourquoi il faut toujours dire à l’enfant pourquoi il doit faire des efforts. L’intériorisation du motif par l’enfant, l’aide et l’orientation fournies par les parents doivent être proportionnées à l’importance et à la difficulté de l’effort proposé. Considérons quelques difficultés inhérentes à l’acquisition de la persévérance, afin d’en tirer les conclusions pour l’éducation des enfants.

L’effort prolongé dans le temps

La persévérance à strictement parler concerne le fait de surmonter les difficultés provenant d’une prolongation dans le temps, tandis que la constance se réfère au fait de surmonter toutes les autres difficultés. Nous allons cependant nous intéresser au dépassement de toutes les difficultés, qu’elles soient ou non d’ordre temporel.
Le fait qu’un projet s’étale sur une longue période représente une difficulté réelle dans toutes les étapes de la vie, notamment lorsqu’il s’agit d’une activité qu’il est impossible de laisser de côté à certains moments pour la reprendre ensuite avec plus d’enthousiasme. Tel est le cas de la persévérance implicite dans le développement d’une vie de la foi. C’est précisément parce que le bien final n’arrive qu’à l’heure de la mort que nous avons besoin du don gratuit de la persévérance, auquel nous devons nous disposer en répondant quotidiennement à la grâce qui donne de “vouloir et d’agir” (Phil. 2. 13), en facilitant l’accomplissement du devoir.
De toutes façons, l’être humain doit coopérer et, lorsqu’il pratique une vertu humaine, il favorise déjà le développement de sa vie de foi.
Si l’objectif - nous parlons ici à un niveau purement humain - est lointain et peu clair, notre effort va en subir les conséquences. Le manque de clarté suppose principalement qu’il est impossible de faire le lien entre ce que nous sommes en train de faire et l’objectif poursuivi. Nous avons vaguement l’impression que ce lien existe. De plus, l’absence d’expérience personnelle rend les choses encore plus difficiles. En effet, nous, les parents, savons qu’en posant une série d’actes, nous parvenons au but fixé ; mais le danger est de croire notre expérience suffisante pour motiver les enfants à déployer les mêmes efforts que nous. La première fois qu’une personne, adulte ou enfant, doit fournir des efforts pour atteindre un objectif, il est souhaitable qu’elle aie celui-ci très présent à l’esprit au moment de l’accomplissement de chacun des efforts.
On peut aussi diviser un objectif à long terme, comme au sein d’une entreprise, en plusieurs étapes interdépendantes. De cette façon, nous découpons la distance en plusieurs “bornes”, obtenant ainsi une plus grande proximité entre l’action actuelle et l’objectif, même partiel.
En troisième lieu, il faut reconnaître que le début de toute activité est marqué par l’enthousiasme, à cause de l’objectif proposé. Cet enthousiasme dure plus ou moins, selon les circonstances. Puis viennent la fatigue et le manque d’envie, et les choses semblent ne plus avancer, on ne voit plus que les difficultés. Finalement, l’objectif final réapparaît avec plus de netteté au fur et à mesure qu’on s’en approche, et l’enthousiasme initial revient, avec plus de maturité car il inclut la satisfaction de l’effort.
Ces réflexions nous amènent à tirer certaines conclusions pour les parents.
En ce qui concerne le petit enfant, il faut le guider vers des objectifs à court terme. Il suffit de penser à l’inefficacité d’une motivation du type : “si tu as de bonnes notes, nous irons à la plage pendant les vacances” et cela, au début de l’année scolaire ! Il serait plus adroit de proposer à l’enfant qu’il progresse dans la matière d’un examen suivant, puis de l’aider à mettre les moyens pour qu’il y parvienne, en s’intéressant tout particulièrement à ce qu’a dit le professeur sur le sujet ; en discutant avec ce dernier pour bien cerner les difficultés de l’enfant et savoir ce qu’on attend de lui ; en demandant à l’enfant s’il a bien compris les devoirs qu’il a à faire.
Cependant, une autre difficulté peut surgir : quels objectifs devons-nous fixer à l’enfant ? Nous en avons déjà proposé quelques uns, comme d’exiger que tout travail commencé soit achevé. Mais cela revient à savoir profiter des situations, normalement pas d’une façon qui suppose un effort soutenu.
Voici d’autres possibilités :
1. On peut centrer l’attention de l’enfant sur l’objectif, sur le travail ou sur la personne, sans ignorer les autres aspects. (Lui proposer de développer un aspect d’une vertu pendant une durée déterminée, par exemple un mois. Centrer son attention sur l’accomplissement d’une tâche particulière, en précisant clairement ce qu’on attend de lui au bout du compte. Centrer son attention sur une personne, de telle sorte qu’il fasse quelque chose pour l’aider et, encore une fois, suggérer des résultats concrets.)
2. Il ne s’agit pas seulement de préciser l’objectif poursuivi, mais aussi de lui montrer le lien entre le travail demandé et cet objectif. Pour développer la vertu de l’ordre, par exemple, il faudra expliquer ce que cela implique : ranger sa chambre avant de se coucher, arriver l’heure aux repas, se lever à heure fixe, etc.
3. Dans la mesure du possible, trouver des objectifs, au moins dans un premier temps, qui présentent un réel intérêt pour l’enfant. Puis, être prêt à intervenir au cas où disparaîtrait la motivation initiale.

Nous avons déjà mentionné plusieurs types de motivations, mais l’intérêt que montrent les parents, accompagné de quelques suggestions pratiques, est sans doute la plus utile.
En dernier lieu, il faut s’assurer que l’enfant est capable de franchir les différentes étapes qui doivent le mener au but fixé et, si tel n’est pas le cas, lui apprendre à le faire, ou modifier l’objectif. C’est pourquoi il est fondamental que ces objectifs soient en rapport avec les capacités et les qualités de l’enfant.

Autres difficultés

Le vice principal qui s’oppose à la persévérance et à la constance, en dehors de l’obstination, est l’inconstance. Celle-ci est causée par des facteurs liés à la durée mais également, et plus essentiellement, par la nécessité de renoncer à d’autre activités, peut-être plus attrayantes, en vue de s’en tenir à ce qu’on a décidé. On remarque ce manque de constance notamment chez les personnes qui abandonnent un projet à la première difficulté ou changent facilement d’activité par goût du changement lui-même. Elles vont même jusqu’à justifier ce comportement en disant que la dernière chose est plus enrichissante, plus intéressante que la précédente.
Pour résoudre ces difficultés, il faut développer une certaine fierté chez l’enfant, et en même temps faire en sorte qu’il arrive à expérimenter, à sentir l’importance de ce qu’il s’est proposé. Sans cette fierté qui suppose le devoir d’aller de l’avant pour ne pas se trahir, il est possible qu’il finisse par se chercher des excuses. Et il y en a toujours. Ce qui est grave, c’est que ces excuses servent non seulement à tromper leurs parents mais à se tromper eux-mêmes. Présenter l’objectif d’amélioration comme un défi peut aussi être utile, surtout si les parents font aussi des efforts sur un point similaire. Arriver à vivre ce qu’on s’est fixé implique de l’avoir constamment présent à l’esprit, et c’est à ce prix seulement que l’on parvient à surmonter sa faiblesse, son inconstance, lorsque surgissent d’autres attraits.
De toutes façons, il ne s’agit pas de faire peser quelque défaut sur la conscience de l’enfant. S’il échoue quelque part, il est souhaitable de lui en parler, de préciser le pourquoi et de l’encourager à recommencer.
Cependant, les autres intérêts qu’il peut rencontrer ne sont pas les seuls en cause : il y a également les obstacles objectifs qui se dressent sur son chemin. La solution principale serait de les prévoir le plus possible. Si les obstacles prennent totalement au dépourvu, il peut en résulter une sensation de peur qui empêche de continuer, ou font chercher une solution quelconque qui fasse perdre le chemin entrepris.
Pour être concrets, les parents peuvent apprendre aux enfants à prévoir les éventuels obstacles, en leur suggérant quelques exemples et en les incitant à en trouver d’autres. Si l’ennemi est connu, il est plus facile à vaincre. Ainsi les obstacles ne sont plus que des obstacles, au lieu de constituer une barrière infranchissable susceptible de faire perdre à l’enfant tous ses moyens.
Dernière difficulté implicite : vouloir faire des efforts dans trop de domaines à la fois. Nous avons déjà dit que l’objectif doit être réaliste - accessible moyennant un effort ; si ce n’est qu’un rêve, il restera inutile. Cependant, on ne peut lutter sérieusement contre plusieurs adversaires. Tout au plus quelques escarmouches, mais pas suffisamment pour gagner du terrain et obtenir une victoire permanente. Il est bien plus utile qu’un enfant s’efforce beaucoup en peu de choses que peu en beaucoup, même si cela demande à priori plus de patience de la part des parents. Et cela pour ne pas le distraire de ce qu’il fait. Nous avons dit qu’il peut arriver à l’enfant de gaspiller ses énergies vainement, mais les parents ne sont pas à l’abri de cette mésaventure. Et lorsqu’ils en font autant, non seulement ils n’obtiennent aucune amélioration personnelle, mais ils entravent celle de leurs enfants.
Pour surmonter les obstacles comme pour remédier à un écart, l’enfant a besoin de demander conseil, et de cette aide dépend l’acquisition de la persévérance.

Aide nécessaire et aide superflue

Dans la plupart des cas, il arrive un moment où celui qui veut persévérer doit demander de l’aide. Et s’il veut être prudent, il devra consulter plusieurs personnes.
Les jeunes enfants ont normalement besoin d’être guidés par leurs parents, mais dans la loi “toute aide superflue est une limitation pour celui qui la reçoit”, on peut distinguer trois niveaux d’action pour les parents :
1. Dire ce qu’il y à faire.
2. Eclaircir la situation pour permettre à l’enfant de tirer ses propres conclusions.
3. Refuser d’aider l’enfant.
Il faut refuser d’aider l’enfant si la demande est motivée par la paresse ou la commodité. En revanche, si l’on remarque un réel besoin d’attention, il est souhaitable d’éclaircir la situation. Si, malgré nos explications, l’enfant ne saisit pas les possibilités qu’il a de surmonter l’obstacle, il faudra lui dire ce qu’il doit faire. En ce qui concerne les plus jeunes, il est logique qu’ils aient besoin qu’on leur dise tout, mais par la suite, au fur et à mesure de leur expérience, il faut les laisser faire en retirant progressivement notre aide.
Cette difficulté comporte deux autres aspects, car il ne suffit pas de prêter aux enfants l’attention adéquate mais de leur apprendre à demander de l’aide à la personne qui convient. Un enfant désireux de progresser dans une matière, doit savoir que, pour résoudre des difficultés techniques, il doit consulter son professeur plutôt que ses parents ; celui qui rencontre des obstacles d’ordre moral devrait avoir recours à son directeur spirituel et non pas à son ami.
La mission des parents comporte tout spécialement le devoir d’apprendre aux enfants à discerner de quoi ils ont besoin exactement et à qui s’adresser. Il se peut qu’ils sachent le faire avec une efficacité telle qu’ils n’aient plus d’effort personnel à fournir et ne développent pas la vertu de persévérance. Certaines choses, dans la vie, peuvent être accomplies par une personne quelconque et ne nécessitent pas d’y axer un effort personnel. Mais pour développer au maximum ma capacité de servir les autres le mieux possible, je devrai me fixer des objectifs d’amélioration que moi seul puisse réaliser.
Il existe, à cet égard, un objectif absolument personnel et intransmissible qui est de rendre gloire à Dieu. La persévérance et si importante dans la vie de la foi que plusieurs observations s’imposent pour conclure sur le sujet.

La persévérance dans le développement de la vie chrétienne

Comme nous l’avons dit auparavant, il existe deux difficultés dans ce domaine. En premier lieu, l’objectif n’est jamais atteint ici-bas et dure toute la vie. On ne peut jamais dire : “Voilà qui est fait, je vais m’attaquer à autre chose”. En second lieu, d’innombrables tentations me font objectivement dévier du chemin choisi. Cependant, la fin reste parfaitement claire - la sanctification personnelle et celle des autres - et nous pouvons compter sur une aide abondante.
C’est pourquoi le problème vient de ne pas savoir profiter de cette aide et de ne pas vouloir écarter les plaisirs transitoires en faveur d’une finalité fixée par Dieu lui-même.
Nous avons parlé d’une aide abondante : pour en profiter, l’homme doit en prendre l’initiative. Autrement, il ne serait pas libre. Aussi peut-il recourir aux sacrements pour augmenter en lui la grâce, recevoir une direction spirituelle, approfondir les vérités de foi par l’étude et, surtout, demander constamment de l’aide à Dieu.
Il ne s’agit pas de nous rendre forts seulement dans nos rapports avec Dieu mais également pour faire face aux circonstances dans lesquelles nous vivons. “Dans les pays où une religion déterminée, au fil du temps, devient majoritaire, celle-ci court le grave risque, en l’absence de difficultés, d’être supplantée par un embourgeoisement spirituel, avec ses séquelles inévitables : manque de profondeur dans ses croyances et pratique religieuse ritualiste dépourvue de contenu. Dans ce type de pays, lorsque un bouleversement se produit, comme c’est le cas aujourd’hui, il en résulte une véritable hécatombe d’ordre religieux et moral. Le manque de racines conduit à une remise en question des croyances de toujours, que l’on estime dépassées dans un monde en évolution qui exige la mise à jour de principes sur lesquels reposent depuis toujours la foi et les coutumes”.
C’est pourquoi il s’agit de prévoir les difficultés rencontrées sur le chemin et de les accepter d’avance. Les obstacles que rencontrent le chrétien sont nombreux et peuvent facilement le faire dévier de son objectif. Un effort continuel suppose une grande maîtrise de soi, et la personne doit rester bien consciente de ses limites et savoir rectifier et recommencer. Les gênes et les obstacles rencontrés par le chrétien peuvent être affrontés d’un point de vue optimiste ou pessimiste. Le pessimiste s’attriste et poursuit sa route de façon mécanique, froide et rigide. L’optimiste répond par la générosité, il sait supporter, entreprendre, utiliser ces obstacles comme moyen de fortifier sa foi. Il le fait avec la grâce de Dieu ; il le fait avec joie.
Les jeunes enfants devront lutter pour se dépasser dans leurs relations avec Dieu. Il ne s’agit pas de trop leur faciliter la vie. Il ne faut pas non plus les aider inutilement. Si les enfants, dans le développement de la persévérance - vertu qui soutient toutes les autres - parviennent à agir par amour de Dieu, ils le font pour le motif le plus élevé qui soit. La vertu atteint déjà son sens plénier et les enfants sont en mesure de recevoir cette grâce spéciale de Dieu dont ils ont besoin pour développer efficacement toutes les vertus humaines.

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