La Sincérité

“La personne sincère révèle avec clarté, si c’est opportun, à la personne qui convient et au bon moment, tout ce qu’elle a fait ou vu, tout ce qu’elle pense ou ressent sur sa situation personnelle ou celle des autres”.

L’écrivain Pedro Rodriguez parle de la sincérité en ces termes : “Dans notre société, chacun prétend être sincère, et l’est au moins en désir. On parle de sincérité de la jeunesse, de sincérité du nouveau théâtre, de sincérité de la chanson moderne. Le problème du prestige de cette vertu est qu’il procède de l’ignorance de ce qu’elle implique en vérité” .

Si nous relisons la description initiale de la sincérité, nous nous apercevons que, pour bien des gens, les précisions “si c’est opportun”, “à la personne qui convient et au bon moment” sont de trop. Pourtant, si la sincérité a un sens, elle ne peut consister à s’exprimer au hasard. En effet, cette vertu doit être gouvernée par la charité et par la prudence. Cependant, “l’excès” de sincérité ne constitue pas la seule déviation rencontrée chez les enfants, même si elle est l’une des plus importantes à l’adolescence. Nous trouvons également d’autres déviations dues à une mauvaise appréciation de la réalité ou à une volonté délibérée de tromper au sujet d’une réalité connue. Je veux parler du  mensonge, de l’hypocrisie, de l’adulation, de la calomnie, des commérages. Nous allons considérer ces deux types de déviations mais, auparavant, analysons les dispositions de la personne désireuse d’être sincère.

L’auteur que nous venons de citer nous dit que : “La sincérité et l’humilité sont deux façons de désigner une même réalité” , et Saint Thomas ajoute que l’humilité règle la tendance de l’homme à se donner plus d’importance qu’il n’en a. C’est pourquoi le développement de cette vertu perd tout son sens si la personne se trompe elle-même. Le problème de la connaissance de soi vient du fait que l’on se compare aux autres. “La juste mesure de ma réalité d’homme me vient non pas de ma relation aux autres mais de ma relation au Créateur” . Notre condition d’enfants de Dieu est fondamentale et nous incite à mieux nous connaître et à tirer profit de tous nos biens pour servir Dieu et les hommes, sans se surestimer ni se sous-estimer. En ce sens, on peut insister sur l’intérêt de développer l’intimité personnelle, sachant qu’on peut ainsi arriver à bien évaluer ce que l’on est, pour pouvoir ensuite dévoiler ce qu’il faut, au bon moment et à la personne qui convient. Il faut éviter de falsifier la situation ou de l’interpréter avec de mauvaises intentions. Nous ne pouvons pas utiliser ce que nous sommes sans sagesse, en nous laissant guider par nos caprices ou ceux du voisin, de telle sorte que notre soi-disant “sincérité” ne soit qu’un abus de langage.

Nous allons considérer les problèmes liés au fait de voir la réalité telle qu’elle est, puis les déviations pouvant survenir au moment de manifester cette réalité. Nous commenterons également quelques aspects de l’éducation de la sincérité chez nos enfants.

 

Voir la réalité telle qu’elle est

Pour voir la réalité de telle façon à ce qu’elle permette une amélioration, il faut distinguer ce qui est important de ce qui est secondaire. Pour la personne qui refuse de progresser, qui prend la vie comme un temps de plaisir où aucun effort ne lui incombe en fonction de ce pour quoi elle a été créée, cette distinction entre ce qui est important et ce qui est secondaire est caduque. Il est plus facile de chercher son plaisir en fonction de l’état d’âme du moment et de se tromper lorsque les affaires se gâtent, de s’évader ou d’occulter les désagréments et l’insatisfaction profonde qui en résultent par des stimulants  tels que le cinéma, le sexe, la drogue. C’est pourquoi la personne doit reconnaître sa mission irremplaçable de glorifier Dieu ou, du moins, essayer de s’améliorer en fonction d’une finalité, même entrevue, afin que la sincérité ou toute autre vertu ait un sens.

S’il en est ainsi, comment faire comprendre aux enfants l’importance de cette amélioration personnelle, pour qu’elle soit pour eux un critère au moment de juger les différents aspects de leur situation personnelle ? Il est évident que cette amélioration a plus de sens pour un adulte que pour un enfant, du moins lorsqu'il reçoit toute une série d’informations. En revanche, l’enfant ne risque pas, comme l’adulte, de se trouver face à un excès d’informations susceptible de l’empêcher de bien juger. Ce que nous pouvons obtenir des enfants, c’est qu’ils prennent conscience de leur qualités et de leurs capacités et puissent ensuite les utiliser au service des autres. Les enfants sauront qu’ils agissent bien lorsqu’ils imiteront des actes qui auront signifié pour eux quelque chose d’agréable ou d’utile. Par exemple, une petite fille prend l’initiative de nettoyer et de ranger le salon. Non seulement elle fait ainsi plaisir à sa mère, mais elle reconnaît en même temps sa capacité de servir et trouve probablement une satisfaction dans ce qu’elle a fait. Elle découvre l’aspect fondamental de son être, principalement dans le fait d’avoir été créée pour quelque chose. Elle ne le saisit pas encore dans toute son ampleur, mais commence à faire la distinction entre “plaisir-satisfaction” et plaisir sans plus. Si les enfants ne cherchent que le plaisir, ils négligent une partie d’eux-mêmes et, par conséquent, tout ce qui a trait à la sincérité n’a pour eux aucun sens. Il se peut aussi qu’ils ne mentent pas, ne médisent pas, mais uniquement parce qu’ils n’y trouvent pas le plaisir qui s’est substitué à la véritable finalité de leur vie. Ce plaisir fait défaut notamment parce que leurs parents les punissent ou quelqu’un se fâche.

Les jeunes enfants ont besoin de recevoir le plus tôt possible une information qui leur permette de reconnaître que leur vie a un sens. Cette finalité ne peut  être atteinte que par un effort personnel qui se fonde sur les qualités et capacités propres à chacun. Pour qu’ils soient sincères avec eux-mêmes, ils doivent savoir que le critère pour bien juger d’une information, importante ou non, est le rapport entre cette information et la possibilité de s’améliorer.

On comprend mieux l’importance de ce concept en l’abordant par le biais des vices qui lui sont contraires. Si un enfant de huit ans ment, il est clair que ses parents ne disposent pas de l’information nécessaire pour pouvoir l’aider. Si lui croit qu’il doit la vérité à ses parents uniquement parce qu’ils l’ont établi comme règle du jeu, sans autres explications, il se peut qu’il ne mente pas par crainte du châtiment, qui n’est pour lui qu’une vengeance des parents punissant le fait qu’on a enfreint leur règle. S’il reconnaît que la raison d’être de la sincérité est son amélioration personnelle et que les parents l’envisagent de la même manière, il aura déjà moins de raisons de les tromper, même s’il peut le faire pour d’autres raisons.

Nous avons souligné l’importance, pour les enfants, d’être conscient de ses capacités et de ses qualités, ainsi que des efforts à fournir pour les mettre au service des autres afin de s’améliorer personnellement. Nous allons à présent considérer quelques problèmes liés à cet aspect.

Même si nous avons agi de façon cohérente avec ce que nous avons dit, il est possible que les jeunes abandonnent ces principes au contact d’influences extérieures. Le “but” recherché par les jeunes d'aujourd'hui et par bien des adultes est le plaisir et la libération de toute forme de devoir. Dans ces circonstances, il n’est pas possible de saisir des aspects importants de sa propre situation personnelle, car, comme nous l’avons dit, le critère d’amélioration fait défaut.

Je crois que la solution est de raisonner avec les jeunes adolescents. Bien des parents ont un mode de vie fondé sur des principes acceptés plus ou moins passivement au départ, et qu’ils ont par la suite mis en pratique parce que l’expérience a montré qu’ils les aidaient à s’améliorer. Cependant, ils se trouvent dans l’incapacité d’argumenter ou de contrecarrer des influences dangereuses pour leurs enfants, montrant ainsi leur manque de logique.

Etre sincère, se reconnaître comme étant créé par Dieu pour quelque chose, avec une finalité, c’est, en d’autres termes, être juste avec soi-même.

D’autres problèmes surviennent ensuite dans l’appréciation de notre situation et de celle des autres, mais notre approche devrait rester la même: chercher le positif, ce qui présente des possibilités d’amélioration, puis considérer les aspects négatifs mais toujours en fonction de cette amélioration.

L’un de ces problèmes est de savoir discerner entre les faits d’un côté et les opinions, interprétations, rêves et fantaisies de l’autre. Si un enfant de huit ans dit qu’il ne sait pas faire une chose, il a peut être raison. S’il veut dire par là qu’il ne saura jamais le faire, il se trompe. C’est pourquoi les parents  peuvent fournir l’information nécessaire pour qu’il puisse accomplir le travail demandé afin que son affirmation initiale n’ait plus le même sens. Dans d’autres circonstances, la même affirmation peut être erronée, parce que faite dans le but de justifier sa paresse. Dans ce cas, les parents peuvent attirer son attention sur l’importance de reconnaître la vérité, en disant par exemple qu’il est fatigué et qu’il ne veut pas le faire. Avec affection, on aide ainsi les enfants à voir les choses telles qu’elles sont. L’une des choses à leur apprendre le plus tôt possible est que deux personnes peuvent appréhender une réalité sous différents angles sans pour autant mentir.  Par exemple, dans un jeu de société, un enfant peut en accuser un autre de lui avoir tendu un piège. L’autre nie et le ton monte, à tel point que les parents doivent intervenir. Quel est le plus important? D’une part, leur montrer quels sont les faits réels en exigeant d’eux une certaine objectivité, puis faire en sorte que le cas ne se présente plus.

Parmi d’autres situations impliquant une falsification de la réalité, on trouve celle d’une fillette sans frère ni soeur qui s’invente un personnage de jeu et, à un autre niveau, celle d’un enfant qui, ayant cassé un objet, accuse une personne ne se trouvant pas à la maison.

J’ai choisi ces deux cas parce qu’ils ne supposent aucune malice. Si notre critère est de rechercher un mieux, ce que nous pouvons faire dans le premier cas est de trouver des camarades de jeu pour l’enfant unique ou, du moins, ne pas détruire son monde imaginaire, à condition que l’enfant sache faire la part des choses. Et cela lui passera. Dans le second cas, il faudra montrer à l’enfant qu’il se trompe. Il ne s’agit pas de stigmatiser son manque de sincérité par le poids de notre raisonnement, mais de lui faire voir que la réalité est autre et qu’on ne va pas le juger ni le punir parce qu’il a cassé un objet.

En un sens, on peut donc affirmer que la formation de la sincérité se fonde sur la reconnaissance par les parents de la sincérité comme priorité absolue. Si tel n’était pas le cas, ceux-ci finiraient par se focaliser sur d’autres aspects du comportement, délaissant ainsi le développement de la vertu en question.  Prenons le cas d’un adolescent qui est allé voir un film interdit par ses parents le jour où il se trouvait avec des amis qui voulaient tous le voir. Si les parents donnent priorité à la sincérité, il préféreront sans doute savoir ce qui s’est passé et pourquoi, plutôt que l’apprendre par des tiers et punir l’enfant de sa désobéissance. Si les parents ont su expliquer pourquoi ils trouvent inconvenant de voir ce film, l’enfant disposera de tous les éléments pour pouvoir prendre la bonne décision ; et s’il succombe à la tentation, il reconnaîtra l’avoir fait.

Cela nous amène à un dernier problème concernant l’appréciation de notre propre situation. L’être humain se trompe souvent sur sa capacité à affronter des influences contraires à son progrès personnel. L’intellect étant très important pour l’adolescent, il a tendance à oublier ses réactions corporelles et affectives. C’est son intelligence qui commande, du moins le croit-il, à tort. Etre sincère avec soi-même ne signifie pas forcément admettre sa propre faiblesse, mais suppose que l’on reconnaisse les risques inhérents au fait de se soumettre à des influences signalées comme nocives par les parents. La difficulté ici, est d’arriver à ce que les adolescents qui, en principe, estiment la vertu de la sincérité, fassent le pas suivant et comprennent qu’il s’agit d’un échange franc et complet d’informations. Or la sincérité n’implique pas pour eux la reconnaissance de leur propre situation, ni un lien avec une amélioration personnelle. Par conséquent, leur conception est teintée d’orgueil et non d’humilité, elle signifie plus abandonner son intimité que la protéger. Il est clair, dans ce cas, qu’on peut se tromper soi-même de bien des manières, la plupart du temps à cause d’une conscience déformée de façon coupable.

 

Déviations dans la manifestation de la réalité

Considérons à présent l’aspect suivant : “si c’est opportun, à la personne qui convient et au bon moment”, d’après les termes de la description initiale. Cela signifie que la sincérité doit être gouvernée par la prudence et par la charité. Si nous cherchons à progresser, partager notre intimité avec une autre personne se justifie précisément par la possibilité d’amélioration qui doit en résulter. Il n’y aucune raison de se dévoiler devant n’importe qui, n’importe quand, ce qui serait preuve d’un manque de contrôle des passions les moins élevées, des états d’âme ou des caprices. Celui qui reconnaît que sa vie a un sens doit exercer sa volonté.

L’une des difficulté de l’adolescence est qu’il existe une dichotomie entre cette conception de la sincérité et ce que les jeunes appellent spontanéité. Et même lorsqu’il n’y a pas vraiment dichotomie, ceux-ci trouvent difficile de concilier la notion de sincérité avec un climat d’ouverture et de confiance. On conçoit parfois la spontanéité comme un défoulement, un remède aux inhibitions, comme la possibilité d’agir selon l’impulsion du moment. Mais il s’agit là d’une façon d’agir instinctive, animale, qui ne fait usage ni de la raison, ni de la volonté. Une personne réaliste ne peut pas en toute logique ignorer certaines facettes spécifiques de l’être humain, facilement observables par tout le monde. La spontanéité n’a en soi aucune valeur tant qu’elle n’est que défoulement. Si elle est liée à un climat de confiance et conduit au progrès personnel et à celui d’autrui, elle garde tout son sens.

La spontanéité implique un climat de confiance lorsqu’elle signifie authenticité, simplicité d’intention,  franchise et honnêteté. Si le fait de se faire connaître “à la personne qui convient et au bon moment” était calculé, peu naturel, allant contre l’authenticité personnelle, ce serait de la stratégie. Il n’y aurait pas non plus de sincérité dans un comportement empreint d’émotions feintes, utilisant des faits cachés ou des sources d’information particulières, qui jouerait l’innocence ou la simplicité naturelle, par exemple.

Il s’agit de se comporter avec authenticité et simplicité, mais en tenant compte du fait que toute situation impliquant des relations humaines exige un effort de la volonté pour concilier le don de soi avec les besoins des autres en vue d’une amélioration. Il ne s’agit pas de penser continuellement à cette amélioration - cela aussi pourrait rendre notre comportement artificiel - mais plutôt de la garder à l’esprit et d’agir prudemment.

Si ce problème est propre à l’adolescence, comment éduquer les plus jeunes dans le même sens ? En faisant parler les enfants sur leur vie. Sans cette communication, on ne peut pas les orienter, mais une fois celle-ci acquise - ce qui peut être très difficile avec les enfants réservés ou timides - on peut les aider à :

1) Distinguer les faits des opinions.

2) Distinguer l’important du secondaire.

3) Discerner à qui et de quoi l’on peut parler.

4) Discerner le moment opportun.

5) Expliquer pourquoi.

Les enfants qui parlent trop devront apprendre à canaliser et à contrôler leur exubérance. Pour ceux qui ne racontent presque rien, il faudra trouver une situation où ils se sentent à leur aise. Normalement, il ne se s’agit pas de résoudre le problème de manque de communication directement avec la personne, en lui disant qu’elle devrait parler plus, mais de trouver, créer, ou profiter de situations qui leur permettent de s’ouvrir. Pour l’un, il suffira que le père s’intéresse à ce qu’il a fait et lui demande comment telle ou telle chose s’est passé. Pour un autre cela se fera au cours d’une promenade, en faisant la vaisselle, en lavant la voiture ou après avoir terminé une activité qui lui plaît.

Considérons à présent les problèmes liés à la falsification de la réalité.

 

La falsification de la réalité

L’une des manifestations les plus fréquentes de manque de sincérité est le mensonge. Mentir, c’est essayer d’induire en erreur son interlocuteur, conformément à notre manière d’appréhender la réalité. C’est pourquoi lorsqu’un enfant traite un autre enfant de “menteur”, il fait, la plupart du temps, un usage abusif du mot. Ce qu’il veut dire, c’est que la personne ne comprend pas les choses comme lui-même les perçoit. L’intention d’induire en erreur ne survient pas avant l’âge de raison, c’est-à-dire environ sept ans. Auparavant, les enfants ne font pas la différence entre la réalité et l’imaginaire, et ne voient pas les implications que leurs dires peuvent avoir sur les autres. En tous cas, c’est le moment de développer leur imagination, sans cesser de leur faire faire la part des choses. Par conséquent, il n’est pas recommandé d’utiliser des motivations imaginaires pour obtenir quelque chose de l’enfant, comme par exemple : “n’y va pas sinon le loup te mangera”, ni de parler de cigogne lorsque la maman est sur le point d’accoucher.

En ce qui concerne les véritables mensonges, il faut prendre en compte les points suivants :

1) Le mensonge correspond à un besoin que l’enfant ressent. Il s’agit donc d’éliminer, dans la mesure du possible, ce besoin et de l’aider à affronter les situations difficiles.

2) Le mensonge est contagieux. L’exemple des parents est, comme toujours, vital.

3) Pour éviter certains types de mensonges, l’enfant doit savoir s’exprimer avec clarté. Il faudra donc lui apprendre à reconnaître la réalité et à l’exprimer.

Considérons ces points un par un.

Le mensonge peut “résoudre” bien des problèmes que la vie quotidienne présente à l’enfant, et lui éviter tous les désagréments. Celui-ci peut, par exemple, dire qu’il est en retard à la maison parce qu’un professeur avait quelque chose a lui dire, au lieu de dire la vérité - il jouait - car il sait que ses parents se fâcheront ou le puniront s’il la dit. Eliminer le besoin de mentir dans cette situation peut signifier éviter les punitions dans la mesure du possible, voire récompenser la sincérité, mais sans être ingénu. Si un acte isolé commence à se répéter de façon inacceptable, il faudra bien punir.

L’enfant peut aussi avoir besoin de paraître l’égal de ses amis ou même meilleur qu’eux, et falsifier la situation de ses parents, le niveau de leurs biens, leur lieu de vacances. Il n’est pas facile de compenser cette carence et, de toutes façons, il faudra montrer avec affection à l’enfant ce que lui vaut et le raisonner sur son désir d’être un autre et d’avoir d’autres biens.

L’adolescent, lui, peut mentir pour éviter des désagréments et préserver son intimité. Il ne s’agit pas de s’introduire sans ambages dans sa vie intime. Il faudra plutôt créer des situations lui permettant de raconter ce qu’il veut. Et rester vigilant, s’informer auprès de tiers du genre d’ambiance dans lequel il évolue. Mettre les enfants dans des situations telles qu’ils se sentent obligés de mentir ne fera pas avancer les choses. Par ailleurs, il est évident que s’ils ne racontent rien de leurs problèmes réels à ceux qui peuvent les aider, ils réduisent également leurs chances de s’améliorer.

L’exemple des parents est vital car, presque sans s’en rendre compte, ceux-ci peuvent donner l’impression que le mensonge est licite. Quelques cas typiques où les parents mentent : lorsqu’ils reçoivent un coup de téléphone à un moment peu opportun et font dire qu’ils ne sont pas là, ou lorsqu’ils répondent faussement à un agent de police qu’ils n’ont pas vu le feu. Mais les déviations les plus graves des adultes sont d’un autres type. Je pense à l’hypocrisie, à l’adulation, à la calomnie, à la médisance.

Sans entrer dans le détail, il paraît clair que la sincérité doit être gouvernée, comme nous l’avons dit, par la prudence et la charité. Il s’agit de ne pas donner son avis sans disposer d’une information suffisante et, dans le cas où l’on en dispose, de ne pas l’utiliser pour pénaliser quiconque de façon négative ; nous disons “de façon négative” car, de temps en temps, il peut être nécessaire de pénaliser en vue d’obtenir une amélioration. Notre critère, ici encore, est l’amélioration de la personne.

Saint Augustin écrit : “Bien que toute personne qui ment essaie d’occulter la vérité, toute personne qui cache la vérité ne ment pas forcément. Il peut parfois arriver qu’on connaisse une vérité mais qu’on ne doive ni ne puisse la révéler. Ce sont les cas bien connus du secret professionnel, du secret commercial et du secret naturel”.

Il y a des situations dans lesquelles certaines vertus passent avant la sincérité. Par exemple, quelqu’un chahute dans une classe et le professeur demande : “qui a fait cela?” Si le coupable ne répond pas, que doivent faire les autres ? Si leur silence ne risque pas de porter préjudice à toute la classe, ils doivent rester loyaux à leur camarade, même s’il s’est montré peu sincère. En d’autres mots, la loyauté passe avant la sincérité.

Au début de ce chapitre, nous avons dit que la vérité doit être manifestée avec clarté ; cela implique de la clarté dans l’expression et du courage. Il ne s’agit pas de donner des explications confuses entremêlées de justifications ; on doit dire la vérité de façon simple, ordonnée et avec sens des responsabilités. Par ailleurs, si les parents veulent que leurs enfants leur disent tout ce qui est important, ils doivent les aider à distinguer entre ce qui l’est et ce qui ne l’est pas.

 

L’exercice de la sincérité

L’intensité avec laquelle chacun va exercer la vertu de sincérité dépend de sa capacité à reconnaître les faits tels qu’ils sont. Il est facile de dire la vérité en l’absence de toute contrariété. Ce que nous devons apprendre à nos enfants, c’est distinguer entre les faits et la fantaisie, entre la vérité et les opinions, entre ce qui est important et ce qui l’est moins, aussi bien dans des situations évidentes que lorsqu’elles comportent une forte charge affective. Cela signifie qu’il faut insister sur l’importance de dire la vérité sans honte afin que les enfants puissent recevoir l’aide appropriée ou bien la donner. Pour qu’elle soit “appropriée”, il faudra expliquer ce que l’on entend par “être prudent”, par “moment opportun” et par “personne qui convient”. Etre sincère signifie être honnête, être juste dans nos relations, et d’abord avec soi-même.

La sincérité doit être fondée sur la confiance des enfants en l’amour de leurs parents qui veulent les aider et non pas les juger. Ils comprendront par la suite que cette vertu les aident à se connaître - par rapport à ce qu’ils doivent encore devenir - et donc à s’améliorer. Enfin, la raison la plus noble d’être sincère est de se savoir enfant de Dieu, doté d’une finalité spécifique ; il faut reconnaître nos limitations humaines mais aussi notre grandeur d’enfants de Dieu. Ainsi, l’être humain peut aimer selon ce qu’il est et atteindre une plus grande plénitude humaine et spirituelle.

 

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