Lardeur au travail
La personne laborieuse accomplit avec diligence ce qui est nécessaire pour atteindre progressivement sa maturité naturelle et surnaturelle, et elle aide les autres à faire de même, dans le travail quotidien comme dans les autres tâches.
La vertu cardinale de force se décompose en deux parties : résister et entreprendre. Lardeur au travail aide, dune certaine manière, à entreprendre. La capacité dentreprise, laccomplissement persévérant de toute une série dactivités, supposent que la personne soit suffisamment motivée pour surmonter déventuels obstacles. Et la motivation principale de lardeur au travail est lamour. Pour pouvoir exécuter divers actes par amour, il faut, de plus, que la personne sache aimer, quelle soit disposée à aimer. Aussi lardeur au travail et la diligence se confondent-elles en une seule vertu. Diligent vient du verbe latin diligere qui signifie aimer, apprécier, choisir au terme dune attention minutieuse et soigneuse. Ce nest pas celui qui se précipite qui est diligent, mais celui qui travaille avec amour, à la perfection.
Il peut, à première vue, sembler curieux quon associe cette vertu à lamour, car on lidentifie habituellement à leffort, au sérieux et à la dureté. Cette dimension de leffort discipliné est en effet incontestable, mais lardeur au travail amène le sujet à considérer laccomplissement de ses devoirs quotidiens comme un champ fertile pour atteindre sa propre maturité naturelle et surnaturelle, cest-à-dire pour accomplir le devoir que lon a dêtre chaque jour meilleur, en servant dinstrument pour aider les autres à faire de même.
Le travail et les autres devoirs
Il est important de comprendre que lardeur au travail nest pas une vertu que lon cultive uniquement dans le travail dit professionnel. On peut comprendre le mot travail comme un ensemble dactivités exigeant efforts et discipline, productives et orientées vers une fin. De fait, dans le travail professionnel, il existe normalement plus de discipline que dans dautres domaines, dans la mesure où celui qui travaille est soumis à des délais, à un certain type dactivités à réaliser, à des procédures concrètes à suivre. A la maison, on trouve également des activités qui demandent un effort, notamment les réparations, mais elles nont pas besoin dêtre faites dans un cadre aussi restreint. En dautres termes, on peut les effectuer quand on en a envie. En tout cas, il existe, en dehors du travail professionnel, toute une série de devoirs à accomplir, et qui requièrent aussi de lardeur au travail.
On peut comprendre le travail, disions-nous, comme un ensemble dactivités exigeant efforts et discipline, productives et ayant une finalité. Le travail est donc soumis à une série de déterminations ou de conditionnements extérieurs, mais il existe aussi des conditionnements dans ce que lon appelle le temps libre. Nous navons pas la possibilité de nous affranchir de tout conditionnement, et il ne serait pas raisonnable de le souhaiter, parce que la vie nest pas ainsi. Nous investissons une bonne partie de notre temps dans un contexte social, et, là où existe la cohabitation, le conditionnement existe également. Ces conditionnements se traduisent par des règles, habituellement cohérentes par rapport à la finalité visée. Par exemple, le règlement intérieur dun collège est établi pour faciliter la cohabitation entre professeurs et élèves. La vertu dordre aide chacun à apprécier et à respecter ces normes. Or, on peut réaliser un travail avec une efficacité technique excellente sans se rendre compte de sa finalité. On peut aussi accomplir un travail nimporte comment, sans lui donner dimportance.
Jai précisé que lardeur au travail est importante en tant que vertu non seulement dans le travail, mais également dans laccomplissement des tâches effectuées pendant le temps libre. La réalisation de ces activités peut être fondée sur une motivation profonde, ou bien simplement faite par devoir et avec compétence. Lardeur au travail suppose de faire les choses avec attention, par amour, de façon à prendre soin de ce que Dieu nous a donné, pour se montrer chaque jour plus dignes dêtre ses enfants et pour aider les autres à faire de même.
Jusquici, nous sommes restés au niveau théorique. Maintenant nous allons réfléchir sur la façon déduquer à cette vertu, en tenant compte des difficultés que lon peut rencontrer, et dont la plupart sont bien connues des parents.
Faire les choses avec diligence
Pour faire les choses avec diligence, il faut dabord les faire. Est-ce lamour qui permet dagir, qui motive laccomplissement dun acte? Ou bien est-ce lorsquon a bien accompli son devoir que lon peut travailler avec amour ? Nous pensons aux enfants et à leurs études. Ce sont des activités exigeant efforts et discipline, et orientées vers une fin. Etudier signifie donc travailler. Mais est-il raisonnable de demander aux enfants quils sefforcent détudier par amour ? Quon puisse remarquer lamour dans leurs études ? Je crois que le problème est, du moins en partie, de savoir ce que lon entend par amour. Nous pouvons considérer que cest une tendance au bien et à sa possession (J. Hervada). Lamour ne réside pas seulement dans la motivation ou dans le pourquoi du travail - cest le cas du jeune qui veut réaliser un travail le mieux possible pour que ses parents soient contents ou pour aider un camarade - mais aussi dans le désir de respecter certaines normes qui, dune certaine façon, reflètent des valeurs permanentes - comme pour un commentaire de texte réalisé selon les indications du professeur, par exemple. Dans cet exemple on associe la valeur de lobéissance au maître à la valeur intrinsèque des normes liées à lordre, à la beauté, etc., que suppose un bon commentaire de texte.
Pour faire du bon travail, il faut respecter certaines normes objectives. Cela signifie quun travail mal fait ne se justifie même pas par leffort fourni pour sa réalisation.
Leffort est méritoire, mais le travail bien fait dépend de léquilibre entre leffort fourni et la qualité du produit fini.
Une personne qui sengage dans des activités pour lesquelles il nest pas compétent a peu de chances de pouvoir développer la vertu de lardeur au travail. Il en va de même pour lenfant de onze ans à qui lon demanderait de faire la critique dune oeuvre philosophique. De la même façon, on fausserait le sens de cette vertu en faisant croire à un enfant quil a fait un bon travail, en ne tenant compte que de leffort fourni, alors quen réalité, ce travail est objectivement mal fait.
Un travail bien fait doit répondre à certaines normes. Le fait de sy plier est déjà une preuve damour. Le travail bien fait contribue au développement de lardeur au travail sil se double dune fin élevée qui, à son tour, stimule la personne à fournir leffort nécessaire à sa réalisation.
En un mot, le travail naît de lamour, exprime lamour, et est orienté vers lamour.
Problèmes liés à la réalisation des activités
Nous avons dit quêtre laborieux supposait :
1) connaître, dans chaque cas, les critères dun travail bien fait ;
2) être suffisamment motivé pour fournir leffort requis ;
3) disposer dune série de capacités suffisamment développées pour bien faire ce quon a à faire.
En traitant ces aspects, nous tiendrons compte non seulement des études des enfants, mais également des tâches quil doivent réaliser à la maison, pour leurs amis ou pour la société en général.
Comment les enfants peuvent-ils sacquitter correctement de leurs devoirs sils ne savent pas ce que correctement signifie ? Il savère en effet que, nous, éducateurs, demandons souvent aux jeunes de faire des choses sans leur expliquer ce que nous attendons deux. Ce que nous attendons deux soulève un autre problème. Les indications que nous donnons aux enfants répondent-elles à ce dont ils ont besoin pour pouvoir respecter des normes fondamentales ou sagit-il de questions réellement discutables ? Nous pourrions prendre lexemple du principe qui veut que les enfants soient ordonnés et veillent à leur propreté corporelle : est-il nécessaire de leur donner les détails de ce quils doivent faire, ou suffit-il de leur expliquer limportance de ces choses afin quil agissent comme bon leur semblera ? Le sens commun indique quavec les tout-petits, il faut donner quelques normes, car lenfant est tributaire du jugement des parents pour savoir si ce quil fait est bien ou mal. Quand lenfant aura une capacité de raisonnement suffisante pour pouvoir établir ses propres critères, le rôle des parents consistera plutôt à le faire réfléchir quà lui fournir une information complète.
Cependant, moins ce quils ont à faire leur est familier, plus claire doit être linformation donnée aux jeunes. Et plus lactivité est techniquement complexe, plus exhaustive doit être linformation. Pour pouvoir construire une radio tout seul, un adolescent aura besoin dune foule de données, à défaut desquelles ses efforts resteront vains. Nous pouvons donc distinguer deux facteurs concernant linformation : sa clarté et sa quantité. Une information claire, mais pas nécessairement fournie, conviendra pour les actes qui, de par leur nature, laissent plus de place à linterprétation personnelle, notamment : aider les autres, être plus responsable, meilleur ami, car, une fois la finalité comprise et disposant de quelques indications générales, lenfant a suffisamment déléments pour pouvoir agir. En revanche, il ne suffit pas de connaître la finalité construire une radio pour que les moyens se présentent automatiquement.
Afin que les enfants sappliquent au travail, il faudra les aider à déterminer la finalité de lacte et leur parler des moyens de façon plus ou moins détaillée.
Néanmoins, plusieurs difficultés peuvent surgir. Imaginons quun adolescent refuse de faire un devoir donné par un professeur en suivant les critères élémentaires de présentation, dordre, etc., parce que, dit-il, le professeur nen tiendra pas compte. Le problème qui se pose est le suivant : le jeune sait comment exécuter le travail, mais il se refuse à le faire.
Les motivations en question
Dans lexemple cité, la vertu de lardeur au travail devrait inciter le jeune à bien faire lexercice sil se rend compte que cest un acte damour.
Dans toute activité, on peut reconnaître un certain nombre de valeurs, en nous-mêmes et dans lactivité. Les valeurs sont ce quil y a de perfectible en chaque être et qui lencourage à tirer profit de ses capacités. La motivation principale de lardeur au travail sera, par conséquent, la découverte de ses capacités et leur reconnaissance explicite par les éducateurs. Pour reprendre notre exemple, le jeune nallait de toutes façons pas faire un bon travail, car le professeur, en ignorant le produit fini, démontrait quil accordait peu de valeur à ce travail. Il signifiait par là quil ne lappréciait pas, quil ne lestimait pas. En outre, il est possible que si les parents avaient insisté pour quil fît un bon travail, son comportement naurait pas changé, car, pour lenfant, il y a un rapport direct entre celui qui établit les règles et celui qui juge le travail. Cest létape préalable à la reconnaissance personnelle des valeurs que chacun adopte pour sa propre vie. Tant que cette reconnaissance nest pas acquise, la motivation doit nécessairement venir de lextérieur.
Nous pouvons dores et déjà nous interroger sur lattitude que les parents doivent adopter : doivent-ils de préférence exiger de leurs enfants en insistant sur la motivation extérieure, ou bien favoriser la découverte progressive, par lenfant, de motivations personnelles ?
La réponse ne saurait être univoque. Les deux aspects de la question doivent être pris en considération, mais lardeur au travail dépend tout spécialement de la conscience que chacun a de ses actes. Etre laborieux, cest vouloir faire des efforts et je veux quand je veux parce que je veux. Ce qui stimulera les enfants, cest de savoir comment accomplir le travail (nous en reparlerons), et de pouvoir le faire de façon autonome, car la pression qui vient de lextérieur peut développer la force, mais lardeur au travail requiert le désir de servir les autres.
En principe, il peut être intéressant pour les parents de chercher à connaître ce qui, dans la vie de leurs enfants, revêt une certaine importance. Nous avons tous remarqué déjà laffection avec laquelle nos filles soccupent de leur poupée, la lavent, la coiffent ; ou la façon dont nos fils soignent leur bicyclette, en tout cas beaucoup plus que toutes les tâches demandées par les parents et les professeurs réunis. Quel coeur ny mettent-ils pas ! Et quelle satisfaction pour eux de savoir que tout est en ordre. Cela peut nous faire sourire, et pourtant, il en va de même avec les adultes : la femme sapprêtant longuement avant de sortir, le jeune homme préparant soigneusement son équipement de chasse ou de pêche en sont des exemples.
Mais comment faire pour que ce soin se reporte sur des activités moins agréables, sur les devoirs - comme le travail - qui exigent effort et discipline ? Dans les activités mentionnées plus haut commence lapprentissage de lardeur au travail, mais cette vertu est tout aussi nécessaire pour la réalisation de nos occupations quotidiennes. Pourtant, il est évident que toutes nos activités ne peuvent pas nous plaire, même si nous y trouvons plus ou moins de satisfaction authentique.
Le travail est une activité transformatrice réalisée, de façon personnelle, par des êtres humains... Cest une activité humaine - impliquant originalité, initiative et créativité - dont le produit - matériel ou non - est la modification de quelque chose (6). Dans la mesure où il y a peu doriginalité, dinitiative et de créativité, où presque rien nest changé par le travail, il ne peut guère être considéré comme un travail humain, mais plutôt comme un travail mécanique. Loriginalité ne réside pas tant dans la façon de réaliser le travail, que dans lobjectif recherché et dans lorganisation de tâches, qui, a priori, ne semblent pas présenter doriginalité - je pense notamment aux petites tâches domestiques qui consistent à éteindre la lumière, débarrasser la table, ranger un placard.
La raison principale que lon a de réaliser un travail, cest précisément quil est humain, quil permet à chacun de sexprimer dans un style personnel, dans son contexte particulier, de développer des qualités et des capacités, et de progresser vers une plus grande maturité naturelle et surnaturelle.
La satisfaction que trouvent la petite fille avec ses poupées et le petit garçon avec sa bicyclette vient principalement du fait quils se sentent maîtres de la situation, quils ont réalisé quelque chose de personnel qui signifie quelque chose pour eux. Le travail fait coïncider une réalité extérieure avec des valeurs qui existent en nous : lordre, la propreté, le bon fonctionnement.
Laccomplissement des devoirs ordinaires a ce sens dès quon arrive à y mettre son empreinte, lorsquil ne se réduit pas à exécuter des ordres.
Il y a deux manières de faire en sorte que nos actes soient vraiment personnels : 1) en les réalisant avec succès de façon originale, selon nos capacités et qualités personnelles ; 2) en les réalisant sans grande originalité, mais les personnalisant par le sens que nous leur donnons.
En fonction du type dactivité, il conviendra dinsister sur lune ou lautre méthode, en essayant de trouver un équilibre. Je rappelle quil sagit dactivités exigeant effort et discipline, et orientées vers une fin.
Les motivations et les âges
Ce qui motive le petit enfant, cest surtout le rapport entre lacte et sa propre réalité, ses intérêts denfant. Ainsi, ce qui est nouveau ou expérimental lattire énormément. Il fait une chose pour la première fois puis le refait parce que cela lui plaît. Il aime ouvrir la porte, décrocher le téléphone, mettre la table. Par la suite, après lavoir fait un certain nombre de fois, lenthousiasme initial diminuant, il cesse de le faire. Il aime également résoudre des problèmes techniques, à condition de savoir comment sy prendre. Il aime rassembler des objets, faire des collections. Le problème est quau fil des ans et même des mois, ses intérêts changent et ses efforts se portent dune activité à lautre. Pour quil reste appliqué dans des activités précises, il faut que léducateur lui fournisse continuellement des motivations, en étant présent, en lencourageant, en étant exigeant, en le grondant, en lui souriant, suivant le caractère de lenfant et les circonstances.
Pour le petit enfant, presque tout est nouveau, mais lorsque la nouveauté va disparaître, il faudra stabiliser ses efforts par cette action directe de léducateur. Celui-ci peut dabord exploiter ce qui continue de plaire à lenfant, lui exprimer la satisfaction que lui procurent ses efforts, et exiger de lui des choses raisonnables pour pouvoir établir les habitudes nécessaires dans les domaines qui lui coûtent le plus.
Cest à partir de dix ans que cette vertu pose généralement le plus de problèmes. Dans les études, les progrès sont mesurés plus spécifiquement à cet âge, et peu de place est laissée à la libre expression. A la maison, on exige un comportement plus stéréotypé pour faciliter la vie de famille. Il semble que les possibilités de stimuler loriginalité dans le travail se réduisent et, de leur côté, les enfants ne sont pas capables de raisonner suffisamment pour découvrir la vraie valeur de leurs actes. A mon avis, il sagit, à cet âge, dutiliser tous les moyens possibles et dexiger des enfants quils développent la vertu de force, notamment dans le domaine de leffort physique.
Bien sûr, les éducateurs doivent encore se montrer exigeants dune manière explicite, même si cela coûte davantage. Ils peuvent dailleurs le faire en employant dautres méthodes, comme le travail déquipe à lécole. Celui-ci favorise une exigence mutuelle parmi les enfants, et lenfant travaille par sens du devoir. A la maison, on peut distribuer des petites tâches de telle façon que chaque enfant ait quelque chose à réaliser pour lun de ses frères et soeurs. Sil ne sexécute pas, le frère ou la soeur concernés se chargeront de le rappeler à lordre. De plus, il est souhaitable de se maintenir au courant des goûts et passe-temps favoris des enfants, pour leur faire prendre lhabitude de soigner les petites choses. Mais il faudra également arriver à ce que les actes les plus routiniers aient une signification pour les jeunes, de telle sorte quils se sentent motivés pour poursuivre leurs efforts.
La question de la signification de lacte et de la reconnaissance de la valeur peut découler directement de la compréhension de lacte, ou être liée à autre chose. Par exemple, un garçon peut travailler pour plaire à ses parents, ou bien il peut reconnaître limportance de travailler, parce que son père a fait leffort de rentrer tôt à la maison pour pouvoir laider. Dans le second cas, il est conscient de limportance que son père attache à ses études, ce qui laide à lui-même intérioriser cette réalité. Dans le premier cas, ses efforts sont le fruit dune appréciation et dun désir personnels.
Il faudra faire en sorte que le premier type de motivations suscite une inquiétude chez lenfant, en lui expliquant combien il importe daccomplir son devoir, avec ou sans envie, dans le double but de rendre service aux autres et de plaire à Dieu. En résumé, il sagit de développer les concepts de devoir et de générosité.
Par ailleurs, compte tenu du fait que cest le moment dinsister sur de nombreux aspects routiniers, il serait souhaitable de compléter léducation par des exercices qui supposent originalité et créativité. Il serait intéressant, à cet égard, de considérer à quel point la vie scolaire et familiale de lenfant est centrée sur la résolution de problèmes. Ne serait-il pas plus intéressant et plus stimulant pour la créativité de laxer sur lidentification des problèmes ?
A ladolescence, dautres problèmes se posent concernant les motivations de lardeur au travail. Dans leurs études, les élèves doivent apprendre bien des choses qui nont pas de rapport direct avec leurs intérêts ni avec leur personnalité, comme savoir faire un commentaire de texte ou vérifier un théorème de géométrie. En outre, les professeurs doivent insister énormément sur les aspects techniques du travail, à cause du nombre croissant de sujets que comportent les programmes. Linformation est de plus en plus fournie et lélève nest plus quun agent passif, privé de la possibilité de produire un travail original et créatif. Ce qui lincite à travailler, cest la peur de léchec à lexamen. De plus, il est intéressant de savoir quune enquête menée auprès délèves de terminale scientifique a révélé quils avaient choisi détudier les sciences de préférence aux lettres dans la perspective du salaire que cette section pourrait leur rapporter un jour ; leur deuxième motivation étant quelle les dispensait de latin !
Cela souligne lintérêt dune orientation professionnelle permanente. Quelques contacts entre parents, professeurs et enfants permettront à ces derniers de comprendre que ce quils font sert à quelque chose. Il existe dautres motivations : lintérêt que lenfant peut avoir pour la matière ; la connaissance des objectifs poursuivis conjointement par ses professeurs et ses parents, en vue de les intérioriser. Mais, finalement, le jeune devra sans doute participer à bon nombre dactivités exigeant effort et discipline, sans être aucunement motivé. Il est bon quil sache que la vie est ainsi faite et que ces actes routiniers, a priori dépourvus de signification, acquièrent une dimension nouvelle selon la façon dont nous les vivons, si nous offrons à Dieu notre effort pour bien travailler, si nous le faisons pour rendre service aux autres, ou par sens du devoir au sens kantien du terme. Cest pourquoi il existe une relation étroite entre ardeur au travail et générosité. Et en ce qui concerne cette dernière vertu, il nest pas souhaitable dexiger des enfants. Il faut plutôt les orienter pour quils agissent de leur propre initiative.
En un mot, il sagira de proposer aux adolescents des motifs, mais sans les obliger à accepter les nôtres (8). A lenfant qui refuse de respecter les normes élémentaires de présentation dans le devoir quil doit rendre, le père pourrait dire : Ne comprends-tu pas que la présentation est importante en soi, indépendamment du fait que le professeur va la remarquer ou pas ? Mais que faire si lenfant ne réagit pas ? On peut toujours lobliger à se plier aux normes, mais il faut savoir que cela ne le fera pas progresser dans la vertu de lardeur au travail. Cest pourquoi il faudra, pour parvenir à un résultat, être patient et attendre que dautres occasions se présentent. (La patience ne signifie pas que les parents ne doivent jamais se fâcher ni exprimer leur contrariété : il est possible que lenfant en ait besoin. La patience suppose simplement que les parents gardent leur sérénité).
Etre capable de faire
Accomplir les tâches qui permettent datteindre une plus grande maturité personnelle et daider les autres dans le même sens requiert un certain savoir-faire. Un élève peut-il étudier un livre sil ne sait pas lire ? Un fille peut-elle préparer à dîner à ses frères et soeurs sans savoir cuisiner ?
La compétence est une condition nécessaire pour pouvoir développer la vertu de lardeur au travail. En outre, plus on maîtrise la technique, plus on aura de facilité à faire ce que lon doit et plus on en tirera de satisfaction car, une fois que la technique acquise, on peut commencer à exprimer son style personnel. Cest pourquoi, si lon veut démotiver un enfant, confions-lui un travail au dessus de ses forces. On obtiendra le même effet en lui demandant des choses trop faciles car, nayant alors plus aucun effort à fournir, il ny trouverait pas de satisfaction réelle.
Le vrai problème des enfants en ce qui concerne leur travail professionnel, cest-à-dire leurs études, nest jamais quils nétudient pas, mais quils ne sont pas suffisamment motivés pour fournir les efforts nécessaires, ou quils ne possèdent pas la compétence requise pour se débrouiller dans une matière. Pour remédier au second aspect du problème, les parents devraient consulter les professeurs pour savoir en quoi ils peuvent les aider. Quelle est la difficulté principale de lenfant ? Il sagit peut-être de développer :
- sa capacité de lecture et de compréhension de ce quil lit ;
- sa capacité dobservation ;
- sa capacité de synthèse ;
- sa capacité de relier les faits entre eux ;
- sa capacité de parler en public ;
- sa capacité de distinguer entre faits et opinions.
Une fois la lacune cernée, il sera plus facile daider lenfant à travailler de bonne grâce. Pour aimer, il faut connaître. Il sagit de savoir, dans chaque cas, ce que signifie un travail bien fait.
Deux vices
En conclusion, jaimerais signaler deux vices contraires à la vertu de lardeur au travail : la paresse et lactivisme.
La paresse ne consiste pas tant à ne rien faire quà sattrister devant un bien spirituel à cause de leffort physique quil suppose. Cest pourquoi lardeur au travail est une attitude de lesprit qui pousse à assumer avec diligence les devoirs qui nous incombent.
La paresse est contagieuse, et les parents devraient surveiller les aspects de leur vie où ils sont enclins à être paresseux. Ils peuvent lêtre dans laccomplissement de leurs devoirs familiaux : en rentrant à la maison à une heure déraisonnable parce quils se trouvent bien au bureau ; une fois rentrés, en naidant pas leur conjoint, etc. La paresse peut aussi sintroduire dans les devoirs vis-à-vis de Dieu : ne pas prier, ne pas lui rendre grâces, etc., ou dans le travail lui-même, lorsquon cherche des excuses pour ne pas faire ou pour faire à moitié, etc.
A cet égard, on peut rencontrer un fait étonnant : un homme, une femme semblent a priori laborieux parce quils sactivent sans relâche à leur travail. Et pourtant, ils savèrent être paresseux et non pas laborieux : le travail est pour eux un refuge qui leur évite de sacquitter de leurs autres devoirs.
Lhomme a besoin dagir et il a besoin de contempler, les deux choses étant parfaitement compatibles. Il lui faut un temps pour leffort et un temps pour des activités moins exigeantes.
Leffort est lune des causes de la fatigue, laquelle, à son tour, appelle un temps de récupération. Doù les vacances, le temps libre, le repos, qui ne sont pas un luxe ni ne sopposent à lardeur au travail mais lui sont inhérentes, non seulement parce que la fatigue exige du repos, mais également parce que celui-ci permet de se remettre au travail.
Lardeur au travail est une vertu damoureux, de personne qui sait quelle peut servir Dieu et les hommes à travers chaque détail de laccomplissement de ses devoirs. La personne laborieuse ne tire aucune gloire de sa vertu. Cependant, si cette vertu existe, les autres remarqueront lamour qui la sous-tend et voudront peut-être boire à la même source.