L’ardeur au travail

“La personne laborieuse accomplit avec diligence ce qui est nécessaire pour atteindre progressivement sa maturité naturelle et surnaturelle, et elle aide les autres à faire de même, dans le travail quotidien comme dans les autres tâches”.

La vertu cardinale de force se décompose en deux parties : résister et entreprendre. L’ardeur au travail aide, d’une certaine manière, à entreprendre. La capacité d’entreprise, l’accomplissement persévérant de toute une série d’activités, supposent que la personne soit suffisamment motivée pour surmonter d’éventuels obstacles. Et la motivation principale de l’ardeur au travail est l’amour. Pour pouvoir exécuter divers actes par amour, il faut, de plus, que la personne sache aimer, qu’elle soit disposée à aimer. Aussi l’ardeur au travail et la diligence se confondent-elles en une seule vertu. “Diligent vient du verbe latin diligere qui signifie aimer, apprécier, choisir au terme d’une attention minutieuse et soigneuse. Ce n’est pas celui qui se précipite qui est diligent, mais celui qui travaille avec amour, à la perfection”.
Il peut, à première vue, sembler curieux qu’on associe cette vertu à l’amour, car on l’identifie habituellement à l’effort, au sérieux et à la dureté. Cette dimension de l’effort discipliné est en effet incontestable, mais l’ardeur au travail amène le sujet à considérer l’accomplissement de ses devoirs quotidiens comme un champ fertile pour atteindre sa propre maturité naturelle et surnaturelle, c’est-à-dire pour accomplir le devoir que l’on a d’être chaque jour meilleur, en servant d’instrument pour aider les autres à faire de même.

Le travail et les autres devoirs
Il est important de comprendre que l’ardeur au travail n’est pas une vertu que l’on cultive uniquement dans le travail dit “professionnel”. On peut comprendre le mot “travail” comme un ensemble d’activités exigeant efforts et discipline, productives et orientées vers une fin. De fait, dans le travail professionnel, il existe normalement plus de discipline que dans d’autres domaines, dans la mesure où celui qui travaille est soumis à des délais, à un certain type d’activités à réaliser, à des procédures concrètes à suivre. A la maison, on trouve également des activités qui demandent un effort, notamment les réparations, mais elles n’ont pas besoin d’être faites dans un cadre aussi restreint. En d’autres termes, on peut les effectuer quand on en a envie. En tout cas, il existe, en dehors du travail professionnel, toute une série de devoirs à accomplir, et qui requièrent aussi de l’ardeur au travail.
On peut comprendre le travail, disions-nous, comme un ensemble d’activités exigeant efforts et discipline, productives et ayant une finalité. Le travail est donc soumis à une série de déterminations ou de conditionnements extérieurs, mais il existe aussi des conditionnements dans ce que l’on appelle le temps libre. Nous n’avons pas la possibilité de nous affranchir de tout conditionnement, et il ne serait pas raisonnable de le souhaiter, parce que la vie n’est pas ainsi. Nous investissons une bonne partie de notre temps dans un contexte social, et, là où existe la cohabitation, le conditionnement existe également. Ces conditionnements se traduisent par des règles, habituellement cohérentes par rapport à la finalité visée. Par exemple, le règlement intérieur d’un collège est établi pour faciliter la cohabitation entre professeurs et élèves. La vertu d’ordre aide chacun à apprécier et à respecter ces normes. Or, on peut réaliser un travail avec une efficacité technique excellente sans se rendre compte de sa finalité. On peut aussi accomplir un travail n’importe comment, sans lui donner d’importance.
J’ai précisé que l’ardeur au travail est importante en tant que vertu non seulement dans le travail, mais également dans l’accomplissement des tâches effectuées pendant le temps libre. La réalisation de ces activités peut être fondée sur une motivation profonde, ou bien simplement faite par devoir et avec compétence. L’ardeur au travail suppose de faire les choses avec attention, par amour, de façon à prendre soin de ce que Dieu nous a donné, pour se montrer chaque jour plus dignes d’être ses enfants et pour aider les autres à faire de même.
Jusqu’ici, nous sommes restés au niveau théorique. Maintenant nous allons réfléchir sur la façon d’éduquer à cette vertu, en tenant compte des difficultés que l’on peut rencontrer, et dont la plupart sont bien connues des parents.

Faire les choses avec diligence
Pour faire les choses avec diligence, il faut d’abord les faire. Est-ce l’amour qui permet d’agir, qui motive l’accomplissement d’un acte? Ou bien est-ce lorsqu’on a bien accompli son devoir que l’on peut travailler avec amour ? Nous pensons aux enfants et à leurs études. Ce sont des activités exigeant efforts et discipline, et orientées vers une fin. Etudier signifie donc travailler. Mais est-il raisonnable de demander aux enfants qu’ils s’efforcent d’étudier par amour ? Qu’on puisse remarquer l’amour dans leurs études ? Je crois que le problème est, du moins en partie, de savoir ce que l’on entend par amour. Nous pouvons considérer que c’est une tendance au bien et à sa possession (J. Hervada). L’amour ne réside pas seulement dans la motivation ou dans le pourquoi du travail - c’est le cas du jeune qui veut réaliser un travail le mieux possible pour que ses parents soient contents ou pour aider un camarade - mais aussi dans le désir de respecter certaines normes qui, d’une certaine façon, reflètent des valeurs permanentes - comme pour un commentaire de texte réalisé selon les indications du professeur, par exemple. Dans cet exemple on associe la valeur de l’obéissance au maître à la valeur intrinsèque des normes liées à l’ordre, à la beauté, etc., que suppose un bon commentaire de texte.
Pour faire du bon travail, il faut respecter certaines normes objectives. Cela signifie qu’un travail mal fait ne se justifie même pas par l’effort fourni pour sa réalisation.
L’effort est méritoire, mais le travail bien fait dépend de l’équilibre entre l’effort fourni et la qualité du produit fini.
Une personne qui s’engage dans des activités pour lesquelles il n’est pas compétent a peu de chances de pouvoir développer la vertu de l’ardeur au travail. Il en va de même pour l’enfant de onze ans à qui l’on demanderait de faire la critique d’une oeuvre philosophique. De la même façon, on fausserait le sens de cette vertu en faisant croire à un enfant qu’il a fait un bon travail, en ne tenant compte que de l’effort fourni, alors qu’en réalité, ce travail est objectivement mal fait.
Un travail bien fait doit répondre à certaines normes. Le fait de s’y plier est déjà une preuve d’amour. Le travail bien fait contribue au développement de l’ardeur au travail s’il se double d’une fin élevée qui, à son tour, stimule la personne à fournir l’effort nécessaire à sa réalisation.
En un mot, “le travail naît de l’amour, exprime l’amour, et est orienté vers l’amour”.

Problèmes liés à la réalisation des activités
Nous avons dit qu’être laborieux supposait :
1) connaître, dans chaque cas, les critères d’un travail bien fait ;
2) être suffisamment motivé pour fournir l’effort requis ;
3) disposer d’une série de capacités suffisamment développées pour bien faire ce qu’on a à faire.
En traitant ces aspects, nous tiendrons compte non seulement des études des enfants, mais également des tâches qu’il doivent réaliser à la maison, pour leurs amis ou pour la société en général.
Comment les enfants peuvent-ils s’acquitter correctement de leurs devoirs s’ils ne savent pas ce que “correctement” signifie ? Il s’avère en effet que, nous, éducateurs, demandons souvent aux jeunes de faire des choses sans leur expliquer ce que nous attendons d’eux. “Ce que nous attendons d’eux” soulève un autre problème. Les indications que nous donnons aux enfants répondent-elles à ce dont ils ont besoin pour pouvoir respecter des normes fondamentales ou s’agit-il de questions réellement discutables ? Nous pourrions prendre l’exemple du principe qui veut que les enfants soient ordonnés et veillent à leur propreté corporelle : est-il nécessaire de leur donner les détails de ce qu’ils doivent faire, ou suffit-il de leur expliquer l’importance de ces choses afin qu’il agissent comme bon leur semblera ? Le sens commun indique qu’avec les tout-petits, il faut donner quelques normes, car l’enfant est tributaire du jugement des parents pour savoir si ce qu’il fait est bien ou mal. Quand l’enfant aura une capacité de raisonnement suffisante pour pouvoir établir ses propres critères, le rôle des parents consistera plutôt à le faire réfléchir qu’à lui fournir une information complète.
Cependant, moins ce qu’ils ont à faire leur est familier, plus claire doit être l’information donnée aux jeunes. Et plus l’activité est techniquement complexe, plus exhaustive doit être l’information. Pour pouvoir construire une radio tout seul, un adolescent aura besoin d’une foule de données, à défaut desquelles ses efforts resteront vains. Nous pouvons donc distinguer deux facteurs concernant l’information : sa clarté et sa quantité. Une information claire, mais pas nécessairement fournie, conviendra pour les actes qui, de par leur nature, laissent plus de place à l’interprétation personnelle, notamment : aider les autres, être plus responsable, meilleur ami, car, une fois la finalité comprise et disposant de quelques indications générales, l’enfant a suffisamment d’éléments pour pouvoir agir. En revanche, il ne suffit pas de connaître la finalité “construire une radio” pour que les moyens se présentent automatiquement.
Afin que les enfants s’appliquent au travail, il faudra les aider à déterminer la finalité de l’acte et leur parler des moyens de façon plus ou moins détaillée.
Néanmoins, plusieurs difficultés peuvent surgir. Imaginons qu’un adolescent refuse de faire un devoir donné par un professeur en suivant les critères élémentaires de présentation, d’ordre, etc., parce que, dit-il, le professeur n’en tiendra pas compte. Le problème qui se pose est le suivant : le jeune sait comment exécuter le travail, mais il se refuse à le faire.

Les motivations en question
Dans l’exemple cité, la vertu de l’ardeur au travail devrait inciter le jeune à bien faire l’exercice s’il se rend compte que c’est un acte d’amour.
Dans toute activité, on peut reconnaître un certain nombre de valeurs, en nous-mêmes et dans l’activité. Les valeurs sont ce qu’il y a de perfectible en chaque être et qui l’encourage à tirer profit de ses capacités. La motivation principale de l’ardeur au travail sera, par conséquent, la découverte de ses capacités et leur reconnaissance explicite par les éducateurs. Pour reprendre notre exemple, le jeune n’allait de toutes façons pas faire un bon travail, car le professeur, en ignorant le produit fini, démontrait qu’il accordait peu de valeur à ce travail. Il signifiait par là qu’il ne l’appréciait pas, qu’il ne l’estimait pas. En outre, il est possible que si les parents avaient insisté pour qu’il fît un bon travail, son comportement n’aurait pas changé, car, pour l’enfant, il y a un rapport direct entre celui qui établit les règles et celui qui juge le travail. C’est l’étape préalable à la reconnaissance personnelle des valeurs que chacun adopte pour sa propre vie. Tant que cette reconnaissance n’est pas acquise, la motivation doit nécessairement venir de l’extérieur.
Nous pouvons d’ores et déjà nous interroger sur l’attitude que les parents doivent adopter : doivent-ils de préférence exiger de leurs enfants en insistant sur la motivation extérieure, ou bien favoriser la découverte progressive, par l’enfant, de motivations personnelles ?
La réponse ne saurait être univoque. Les deux aspects de la question doivent être pris en considération, mais l’ardeur au travail dépend tout spécialement de la conscience que chacun a de ses actes. Etre laborieux, c’est vouloir faire des efforts et je veux quand je veux parce que je veux. Ce qui stimulera les enfants, c’est de savoir comment accomplir le travail (nous en reparlerons), et de pouvoir le faire de façon autonome, car la pression qui vient de l’extérieur peut développer la force, mais l’ardeur au travail requiert le désir de servir les autres.
En principe, il peut être intéressant pour les parents de chercher à connaître ce qui, dans la vie de leurs enfants, revêt une certaine importance. Nous avons tous remarqué déjà l’affection avec laquelle nos filles s’occupent de leur poupée, la lavent, la coiffent ; ou la façon dont nos fils soignent leur bicyclette, en tout cas beaucoup plus que toutes les tâches demandées par les parents et les professeurs réunis. Quel coeur n’y mettent-ils pas ! Et quelle satisfaction pour eux de savoir que tout est en ordre. Cela peut nous faire sourire, et pourtant, il en va de même avec les adultes : la femme s’apprêtant longuement avant de sortir, le jeune homme préparant soigneusement son équipement de chasse ou de pêche en sont des exemples.
Mais comment faire pour que ce soin se reporte sur des activités moins agréables, sur les devoirs - comme le travail - qui exigent effort et discipline ? Dans les activités mentionnées plus haut commence l’apprentissage de l’ardeur au travail, mais cette vertu est tout aussi nécessaire pour la réalisation de nos occupations quotidiennes. Pourtant, il est évident que toutes nos activités ne peuvent pas nous plaire, même si nous y trouvons plus ou moins de satisfaction authentique.
Le travail est une activité transformatrice réalisée, de façon personnelle, par des êtres humains... C’est une activité humaine - impliquant originalité, initiative et créativité - dont le produit - matériel ou non - est la modification de quelque chose” (6). Dans la mesure où il y a peu d’originalité, d’initiative et de créativité, où presque rien n’est changé par le travail, il ne peut guère être considéré comme un travail humain, mais plutôt comme un travail mécanique. L’originalité ne réside pas tant dans la façon de réaliser le travail, que dans l’objectif recherché et dans l’organisation de tâches, qui, a priori, ne semblent pas présenter d’originalité - je pense notamment aux petites tâches domestiques qui consistent à éteindre la lumière, débarrasser la table, ranger un placard.
La raison principale que l’on a de réaliser un travail, c’est précisément qu’il est humain, qu’il permet à chacun de s’exprimer dans un style personnel, dans son contexte particulier, de développer des qualités et des capacités, et de progresser vers une plus grande maturité naturelle et surnaturelle.
La satisfaction que trouvent la petite fille avec ses poupées et le petit garçon avec sa bicyclette vient principalement du fait qu’ils se sentent maîtres de la situation, qu’ils ont réalisé quelque chose de personnel qui signifie quelque chose pour eux. Le travail fait coïncider une réalité extérieure avec des valeurs qui existent en nous : l’ordre, la propreté, le bon fonctionnement.
L’accomplissement des devoirs ordinaires a ce sens dès qu’on arrive à y mettre son empreinte, lorsqu’il ne se réduit pas à exécuter des ordres.
Il y a deux manières de faire en sorte que nos actes soient vraiment personnels : 1) en les réalisant avec succès de façon originale, selon nos capacités et qualités personnelles ; 2) en les réalisant sans grande originalité, mais les personnalisant par le sens que nous leur donnons.
En fonction du type d’activité, il conviendra d’insister sur l’une ou l’autre méthode, en essayant de trouver un équilibre. Je rappelle qu’il s’agit d’activités exigeant effort et discipline, et orientées vers une fin.

Les motivations et les âges
Ce qui motive le petit enfant, c’est surtout le rapport entre l’acte et sa propre réalité, ses intérêts d’enfant. Ainsi, ce qui est nouveau ou expérimental l’attire énormément. Il fait une chose pour la première fois puis le refait parce que cela lui plaît. Il aime ouvrir la porte, décrocher le téléphone, mettre la table. Par la suite, après l’avoir fait un certain nombre de fois, l’enthousiasme initial diminuant, il cesse de le faire. Il aime également résoudre des problèmes techniques, à condition de savoir comment s’y prendre. Il aime rassembler des objets, faire des collections. Le problème est qu’au fil des ans et même des mois, ses intérêts changent et ses efforts se portent d’une activité à l’autre. Pour qu’il reste appliqué dans des activités précises, il faut que l’éducateur lui fournisse continuellement des motivations, en étant présent, en l’encourageant, en étant exigeant, en le grondant, en lui souriant, suivant le caractère de l’enfant et les circonstances.
Pour le petit enfant, presque tout est nouveau, mais lorsque la nouveauté va disparaître, il faudra stabiliser ses efforts par cette action directe de l’éducateur. Celui-ci peut d’abord exploiter ce qui continue de plaire à l’enfant, lui exprimer la satisfaction que lui procurent ses efforts, et exiger de lui des choses raisonnables pour pouvoir établir les habitudes nécessaires dans les domaines qui lui coûtent le plus.
C’est à partir de dix ans que cette vertu pose généralement le plus de problèmes. Dans les études, les progrès sont mesurés plus spécifiquement à cet âge, et peu de place est laissée à la libre expression. A la maison, on exige un comportement plus stéréotypé pour faciliter la vie de famille. Il semble que les possibilités de stimuler l’originalité dans le travail se réduisent et, de leur côté, les enfants ne sont pas capables de raisonner suffisamment pour découvrir la vraie valeur de leurs actes. A mon avis, il s’agit, à cet âge, d’utiliser tous les moyens possibles et d’exiger des enfants qu’ils développent la vertu de force, notamment dans le domaine de l’effort physique.
Bien sûr, les éducateurs doivent encore se montrer exigeants d’une manière explicite, même si cela coûte davantage. Ils peuvent d’ailleurs le faire en employant d’autres méthodes, comme le travail d’équipe à l’école. Celui-ci favorise une exigence mutuelle parmi les enfants, et l’enfant travaille par sens du devoir. A la maison, on peut distribuer des petites tâches de telle façon que chaque enfant ait quelque chose à réaliser pour l’un de ses frères et soeurs. S’il ne s’exécute pas, le frère ou la soeur concernés se chargeront de le rappeler à l’ordre. De plus, il est souhaitable de se maintenir au courant des goûts et passe-temps favoris des enfants, pour leur faire prendre l’habitude de soigner les petites choses. Mais il faudra également arriver à ce que les actes les plus routiniers aient une signification pour les jeunes, de telle sorte qu’ils se sentent motivés pour poursuivre leurs efforts.
La question de la “signification de l’acte” et de la “reconnaissance de la valeur” peut découler directement de la compréhension de l’acte, ou être liée à autre chose. Par exemple, un garçon peut travailler pour plaire à ses parents, ou bien il peut reconnaître l’importance de travailler, parce que son père a fait l’effort de rentrer tôt à la maison pour pouvoir l’aider. Dans le second cas, il est conscient de l’importance que son père attache à ses études, ce qui l’aide à lui-même intérioriser cette réalité. Dans le premier cas, ses efforts sont le fruit d’une appréciation et d’un désir personnels.
Il faudra faire en sorte que le premier type de motivations suscite une inquiétude chez l’enfant, en lui expliquant combien il importe d’accomplir son devoir, avec ou sans envie, dans le double but de rendre service aux autres et de plaire à Dieu. En résumé, il s’agit de développer les concepts de devoir et de générosité.
Par ailleurs, compte tenu du fait que c’est le moment d’insister sur de nombreux aspects routiniers, il serait souhaitable de compléter l’éducation par des exercices qui supposent originalité et créativité. Il serait intéressant, à cet égard, de considérer à quel point la vie scolaire et familiale de l’enfant est centrée sur la résolution de problèmes. Ne serait-il pas plus intéressant et plus stimulant pour la créativité de l’axer sur l’identification des problèmes ?
A l’adolescence, d’autres problèmes se posent concernant les motivations de l’ardeur au travail. Dans leurs études, les élèves doivent apprendre bien des choses qui n’ont pas de rapport direct avec leurs intérêts ni avec leur personnalité, comme savoir faire un commentaire de texte ou vérifier un théorème de géométrie. En outre, les professeurs doivent insister énormément sur les aspects techniques du travail, à cause du nombre croissant de sujets que comportent les programmes. L’information est de plus en plus fournie et l’élève n’est plus qu’un agent passif, privé de la possibilité de produire un travail original et créatif. Ce qui l’incite à travailler, c’est la peur de l’échec à l’examen. De plus, il est intéressant de savoir qu’une enquête menée auprès d’élèves de terminale scientifique a révélé qu’ils avaient choisi d’étudier les sciences de préférence aux lettres dans la perspective du salaire que cette section pourrait leur rapporter un jour ; leur deuxième motivation étant qu’elle les dispensait de latin !
Cela souligne l’intérêt d’une orientation professionnelle permanente. Quelques contacts entre parents, professeurs et enfants permettront à ces derniers de comprendre que ce qu’ils font sert à quelque chose. Il existe d’autres motivations : l’intérêt que l’enfant peut avoir pour la matière ; la connaissance des objectifs poursuivis conjointement par ses professeurs et ses parents, en vue de les intérioriser. Mais, finalement, le jeune devra sans doute participer à bon nombre d’activités exigeant effort et discipline, sans être aucunement motivé. Il est bon qu’il sache que la vie est ainsi faite et que ces actes routiniers, a priori dépourvus de signification, acquièrent une dimension nouvelle selon la façon dont nous les vivons, si nous offrons à Dieu notre effort pour bien travailler, si nous le faisons pour rendre service aux autres, ou par sens du devoir au sens kantien du terme. C’est pourquoi il existe une relation étroite entre ardeur au travail et générosité. Et en ce qui concerne cette dernière vertu, il n’est pas souhaitable d’exiger des enfants. Il faut plutôt les orienter pour qu’ils agissent de leur propre initiative.
En un mot, il s’agira de proposer aux adolescents des motifs, mais sans les obliger à accepter les nôtres (8). A l’enfant qui refuse de respecter les normes élémentaires de présentation dans le devoir qu’il doit rendre, le père pourrait dire : “Ne comprends-tu pas que la présentation est importante en soi, indépendamment du fait que le professeur va la remarquer ou pas ?” Mais que faire si l’enfant ne réagit pas ? On peut toujours l’obliger à se plier aux normes, mais il faut savoir que cela ne le fera pas progresser dans la vertu de l’ardeur au travail. C’est pourquoi il faudra, pour parvenir à un résultat, être patient et attendre que d’autres occasions se présentent. (La patience ne signifie pas que les parents ne doivent jamais se fâcher ni exprimer leur contrariété : il est possible que l’enfant en ait besoin. La patience suppose simplement que les parents gardent leur sérénité).

Etre capable de faire
Accomplir les tâches qui permettent d’atteindre une plus grande maturité personnelle et d’aider les autres dans le même sens requiert un certain savoir-faire. Un élève peut-il étudier un livre s’il ne sait pas lire ? Un fille peut-elle préparer à dîner à ses frères et soeurs sans savoir cuisiner ?
La compétence est une condition nécessaire pour pouvoir développer la vertu de l’ardeur au travail. En outre, plus on maîtrise la technique, plus on aura de facilité à faire ce que l’on doit et plus on en tirera de satisfaction car, une fois que la technique acquise, on peut commencer à exprimer son style personnel. C’est pourquoi, si l’on veut démotiver un enfant, confions-lui un travail au dessus de ses forces. On obtiendra le même effet en lui demandant des choses trop faciles car, n’ayant alors plus aucun effort à fournir, il n’y trouverait pas de satisfaction réelle.
Le vrai problème des enfants en ce qui concerne leur travail professionnel, c’est-à-dire leurs études, n’est jamais “qu’ils n’étudient pas”, mais qu’ils ne sont pas suffisamment motivés pour fournir les efforts nécessaires, ou qu’ils ne possèdent pas la compétence requise pour se débrouiller dans une matière. Pour remédier au second aspect du problème, les parents devraient consulter les professeurs pour savoir en quoi ils peuvent les aider. Quelle est la difficulté principale de l’enfant ? Il s’agit peut-être de développer :
- sa capacité de lecture et de compréhension de ce qu’il lit ;
- sa capacité d’observation ;
- sa capacité de synthèse ;
- sa capacité de relier les faits entre eux ;
- sa capacité de parler en public ;
- sa capacité de distinguer entre faits et opinions.
Une fois la lacune cernée, il sera plus facile d’aider l’enfant à travailler de bonne grâce. Pour aimer, il faut connaître. Il s’agit de savoir, dans chaque cas, ce que signifie un travail bien fait.

Deux vices
En conclusion, j’aimerais signaler deux vices contraires à la vertu de l’ardeur au travail : la paresse et l’activisme.
La paresse ne consiste pas tant à ne rien faire qu’à s’attrister devant un bien spirituel à cause de l’effort physique qu’il suppose. C’est pourquoi l’ardeur au travail est une attitude de l’esprit qui pousse à assumer avec diligence les devoirs qui nous incombent.
La paresse est contagieuse, et les parents devraient surveiller les aspects de leur vie où ils sont enclins à être paresseux. Ils peuvent l’être dans l’accomplissement de leurs devoirs familiaux : en rentrant à la maison à une heure déraisonnable parce qu’ils se trouvent bien au bureau ; une fois rentrés, en n’aidant pas leur conjoint, etc. La paresse peut aussi s’introduire dans les devoirs vis-à-vis de Dieu : ne pas prier, ne pas lui rendre grâces, etc., ou dans le travail lui-même, lorsqu’on cherche des excuses pour ne pas faire ou pour faire à moitié, etc.
A cet égard, on peut rencontrer un fait étonnant : un homme, une femme semblent a priori laborieux parce qu’ils s’activent sans relâche à leur travail. Et pourtant, ils s’avèrent être paresseux et non pas laborieux : le travail est pour eux un refuge qui leur évite de s’acquitter de leurs autres devoirs.
L’homme a besoin d’agir et il a besoin de contempler, les deux choses étant parfaitement compatibles. Il lui faut un temps pour l’effort et un temps pour des activités moins exigeantes.
L’effort est l’une des causes de la fatigue, laquelle, à son tour, appelle un temps de récupération. D’où les vacances, le temps libre, le repos, qui ne sont pas un luxe ni ne s’opposent à l’ardeur au travail mais lui sont inhérentes, non seulement parce que la fatigue exige du repos, mais également parce que celui-ci permet de se remettre au travail.
L’ardeur au travail est une vertu d’amoureux, de personne qui sait qu’elle peut servir Dieu et les hommes à travers chaque détail de l’accomplissement de ses devoirs. La personne laborieuse ne tire aucune gloire de sa vertu. Cependant, si cette vertu existe, les autres remarqueront l’amour qui la sous-tend et voudront peut-être boire à la même source.

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