La patience

 

“Une fois connues ou pressenties les difficultés à surmonter ou les biens désirés qui se font attendre, la personne patiente supporte avec sérénité tous les désagréments”.

 

La vertu cardinale de la force comporte deux aspects : entreprendre et résister. La résistance relève d’une série de vertus annexes qui se recoupent : la patience, la magnanimité, la persévérance et la constance.
Dans ce chapitre, ce sont les deux premières qui nous intéressent. Au sens strict, être patient, c’est surtout supporter un mal pour en éviter un plus grand, tandis que la magnanimité aide à endurer les ennuis lorsque le bien se fait attendre. Cependant, ces vertus se trouvent regroupées dans notre description initiale car, dans la vie quotidienne, le concept de patience les recouvre toutes les deux.

Il semblerait au départ que la patience revête plus d’importance pour les parents que pour les enfants. Nous pourrions facilement évoquer de nombreuses situations où nos enfants nous ont fait perdre patience. Cependant la patience ne saurait être confondue avec la passivité dont les parents font parfois montre. La patience, comme toutes les vertus, s’oppose à deux vices : l’impatience et l’insensibilité ou dureté de coeur.

Il est certain que les parents doivent cultiver la patience, et nous allons traiter cet aspect, mais les enfants doivent également apprendre à être patients. Et ce pour plusieurs raisons. Celui qui connaît mal ses limites peut souhaiter atteindre des objectifs ambitieux trop rapidement. L’adulte, s’il est prudent, sait analyser ses propres capacités et les exploiter de façon à parvenir au but qu’il s’est fixé. Il se peut que les enfants, en raison de leur âge et selon leurs aptitudes intellectuelles, ne soient pas aussi prudents et se mettent dans des situations où il devient impossible de rester patient. Comme, par exemple, l’enfant de dix ans qui décide d’économiser son argent de poche pour s’acheter une motocyclette lorsqu’il en aura seize.

La patience suppose que cela vaille la peine d’attendre et que l’on puisse attendre. Elle implique également que l’on surmonte avec sérénité les éventuels désagréments.

 

L’influence de l’ambiance

 

Peut-être devrions-nous approfondir notre réflexion sur ce qu’il est raisonnable d'entreprendre ou de surmonter. Nous ne prétendons pas donner des normes concrètes mais plutôt souligner quelques caractéristiques de la société actuelle et des jeunes.

Aujourd’hui, bon nombre de personnes remplissent leur temps d’une activité frénétique et incessante, en quête de résultats immédiats. En général, ils tiennent à récolter les conséquences de leurs actes. Ils ne voient pas à long terme. Ils ne s’intéressent guère à ce qui se passera dix ans plus tard, mais sont préoccupés par ce qui va arriver le lendemain ou la semaine suivante. De ce fait, la valeur la plus prisée est le rendement, l’économie : apprendre à obtenir les mêmes résultats en moins de temps ou avec moins d’efforts ; ou des résultats meilleurs ou plus nombreux dans le même laps de temps. Ce qui ne peut s’obtenir rapidement finit pas perdre son importance - processus inconscient - et n’influence plus le comportement de personne.

Quelles sont ces choses qui tardent davantage à arriver ? Ce qu’il y a de plus naturel : les vertus intellectuelles ou humaines - la sagesse, la justice, etc. En un mot, la maturité naturelle de l’homme. Cela pose un problème, car on ne peut jamais affirmer : “je suis généreux”. On peut toujours se perfectionner, et c’est précisément cette lutte pour se dépasser soi-même qui a de la valeur.

L’une des choses fondamentales que recherche l’homme pour la société dans laquelle il vit est la résolution des problèmes sur le champ. Il s’agit d’organiser une société qui soit d’emblée juste et libre. Résultat, on change les structures une fois et l’autre, sans comprendre qu’une telle société n’est possible que lorsque chacun des membres qui la composent est juste. Et cela demande du temps. Nous pensons rarement à contribuer au progrès pour que nos arrière-petits-enfants aient une vie meilleure. Nous voulons des résultats immédiats. Je ne veux pas dire que cela soit mauvais. Je cherche simplement à souligner le danger que supposent de rechercher exclusivement des résultats à court-terme et de se leurrer en croyant que l’on peut obtenir en peu de temps des choses qui en demandent objectivement davantage. L’exemple de nos ancêtres, qui ont commencé à construire une cathédrale dont ils ne verraient jamais l’achèvement, ou qui ont planté des arbres qui mettent deux siècles à pousser devrait forcer notre admiration.

Ce qui caractérise également la société actuelle, c’est cette tendance à méconnaître la valeur inhérente au fait de supporter des désagréments. Avec la disparition de la douleur apparaît l’hédonisme, la recherche du plaisir. On considère “contre-nature” tout ce qui suppose la maîtrise des instincts et des passions. Le contrôle de soi exige une certaine contrainte et, par conséquent, est mal accepté. Cependant la vie en société nécessite un effort de maîtrise de soi pour que l’autonomie de tous soit respectée. Pour pouvoir à la fois “vivre sans contraintes” et “vivre avec les autres”, il faut perdre son identité et se fondre dans un ensemble amorphe.

De toutes façons, le plaisir, licite ou non, peut être séduisant, et les jeunes auront besoin de leurs éducateurs pour pouvoir faire la distinction entre les deux. Ils devront aussi apprendre que le bonheur ne comporte pas seulement le plaisir mais également la douleur. Il faut beaucoup de patience pour chercher et lutter en vue d’atteindre progressivement le bonheur. Le plaisir superficiel, en tant que produit, est très attrayant. Peut-être devrions-nous réfléchir à la façon de présenter sous un jour agréable le bonheur, le plaisir et la douleur : cela résoudrait en partie le problème de la motivation de l’enfant en faveur du développement de la patience.

Enfin, il faudrait tenir compte de ce que les enfants sont. Les tout-petits ont une faible capacité de concentration et, souvent, ils abandonnent un jeu ou une tâche par impatience. Dans le même ordre d’idées, il leur est difficile de raisonner  afin de comprendre pourquoi ils ne peuvent pas sur le champ obtenir une chose qu’ils désirent. Ils n’ont pas non plus la volonté  de tenir leurs résolutions. En d’autres termes, un petit enfant ne peut logiquement pas être patient. Nous ne pouvons exiger cette patience de nos enfants comme un droit mais, tout en nous montrant compréhensifs envers eux, nous devons leur fournir l’aide opportune qui va leur permettre de développer cette vertu. Ce qui est regrettable, c’est de voir des adolescents ou des adultes incapables de raisonner, de se concentrer ou de faire preuve de volonté. D’autre part, à partir de la puberté, il faut savoir que les signes évidents d’impatience que donnent les enfants - colères, disputes, bagarres, etc. - sont intimement liés aux transformations physiologiques qu’ils sont en train de subir. Compte tenu de ce phénomène, on ne saurait se montrer trop sévère ou, du moins, pas sans faire des efforts évidents pour les comprendre. A l’adolescence, les jeunes ont aussi besoin qu’on les aide à résister aux fortes tentations que suscite la société de consommation. Les jeunes ont besoin de faire de nouvelles expériences, d’interpréter les situations à leur manière. Mais les derniers produits sortis sur le marché ne leur sont pas indispensables. En outre il faudrait tenir compte du fait qu’ils ne savent pas nuancer, ce qui les porte à se montrer très conciliants avec certains et très impatients avec d’autres. Ils peuvent supporter très patiemment les contretemps qui se présentent dans une situation où leurs intérêts sont en jeu, et n’être nullement disposés à le faire dans une autre situation.

Après ces préliminaires, voyons en quoi la patience est une vertu importante et combien il est difficile de la développer.

 

Introduction à l’éducation de la vertu

 

Existe-t-il une activité que l’on puisse avoir avec les enfants et qui assure le développement de la patience ? En 1600, se référant à une activité précise, Isaac Walton écrit ceci : “C’est une façon d’occuper ses loisirs, cela permet de reposer l’esprit, redonne du courage, chasse la tristesse, apaise les esprits tourmentés, dompte les passions, redonne goût à la vie et permet de cultiver la paix et la patience”. De quoi parle-t-il ? De la pêche. Il n’est bien sûr pas question que les parents emmènent systématiquement leurs enfants à la pêche. Cependant, nous pouvons analyser les caractéristiques de cette activité et nous en inspirer pour exploiter certaines situations en vue de cultiver la patience, en fonction des goûts et des capacités de chacun.

La réalisation de cette activité requiert un certain temps. Elle suppose aussi que l’on attende, sans rien faire d’autre. Elle implique que l’on supporte les désagréments liés aux intempéries, à l’immobilité, au silence absolu qui doit être respecté, à la déception causée par une pêche infructueuse. Enfin, il est impossible de réfléchir posément à autre chose.

En bref, il ressort que les activités propres à stimuler la patience impliquent des difficultés qu’il faut surmonter pour parvenir à ses fins ou pour en éviter de pires. Il faut en effet :

- qu’il s’écoule un certain laps de temps entre les actes et l’objectif fixé ;

- maîtriser certaines passions ;

- s’efforcer de supporter certaines contrariétés physiques ou d’éviter des gestes superflus ;

- lutter contre la tendance à produire une activité mentale inutile ;

- parvenir, grâce à l’activité en question, à reconnaître la valeur positive de la maîtrise de soi qu’elle suppose.

 

Les motivations

 

La patience requiert une motivation adéquate qui ne peut  être le fait que d’un tempérament serein. Dans notre description initiale, nous avons dit “supporte avec sérénité tous les désagréments”. La sérénité prépare le terrain pour une action patiente et sensée. “Soyons sereins, ne serait-ce que pour pouvoir agir intelligemment : celui qui conserve son calme est en mesure de réfléchir, de peser le pour et le contre, d’examiner avec sagesse les conséquences des actions projetées. Il peut ensuite intervenir avec calme et détermination”. C’est pourquoi, en cédant à la tentation de l’activisme, on devient incapable d’agir avec sérénité et l’activité elle-même finit par nous impatienter. “La tranquillité d’esprit n’est pas une marque d’indifférence ou d’insensibilité, ce n’est pas l’expression d’une volonté d’isolement ou d’un refus de changement. Etre serein, c’est donner priorité à la raison, se montrer ferme dans ses propos, considérer avec attention et objectivité les données d’un problème, le pour et le contre d’une décision ; cela suppose de savoir faire la distinction entre ce qui est fondamental et ce qui est accessoire, entre ce qui est important et ce qui l’est moins. La sérénité permet d’éviter les réactions précipitées, provoquées par la nervosité ou la peur, et facilite l’action responsable et prudente, la recherche de la solution la plus juste”.

La sérénité est l’une des conditions préalables au développement de la patience, même si celle-ci ne suppose pas que l’on domine ses passions à tout moment. La colère peut être néfaste, comme elle peut être justifiée et constituer un bon moyen pédagogique. Il faut cependant préciser que cette colère doit être modérée, ce qui n’est possible que si la personne qui se fâche est consciente de sa colère et le fait pour une juste cause, ce qui l’incite à exprimer son mécontentement au lieu de s’efforcer de se calmer.

Nous avons dit que la maîtrise des passions par la raison - l’égalité d’humeur - est une condition sine qua non de la patience. Mais quelles peuvent être nos motivations pour ce faire ? Nous traiterons plus loin des motivations selon les âges. A présent, je voudrais simplement énoncer quelques généralités.

L’acceptation de contraintes n’a de sens qu’en regard du bénéfice qui en découle. S’il en était autrement, il s’agirait de masochisme. Aussi la motivation vient-elle du fait que, en étant patients, nous pensons en retirer un bénéfice, faire du bien aux autres ou rendre gloire à Dieu. En fait, les trois aspects se recoupent, bien que chaque personne soit plus ou moins consciente des motifs de ses efforts selon sa situation. Aussi pouvons-nous affirmer que notre motivation principale, mais pas nécessairement la plus évidente, est de faire la volonté de Dieu qui, mieux que nous, sait ce qui nous convient. C’est pourquoi Il permet que nous rencontrions des difficultés, des souffrances, des tribulations.

Nous l’avons dit, ce bénéfice final se traduit par des motifs partiels qui dépendent de la situation de chacun. Ainsi, un père peut se montrer patient envers son enfant pour mieux l’éduquer. On peut être patient avec une connaissance en l’écoutant et en cherchant à la comprendre parce que l’on sait qu’elle traverse une épreuve et que l’on désire la soulager. Un enfant peut avoir la patience d’expliquer la règles d’un jeu à un ami dans le seul but de pouvoir passer un bon moment avec lui.

Comme on le voit, une finalité est nécessaire pour que la vertu puisse se développer. Or il faut savoir que la patience requiert de la sensibilité. Si nous ne ressentions pas les douleurs, les joies, les triomphes, les échecs de tous les jours, la patience n’aurait pas lieu d’être. L’insensibilité, nous l’avons dit, est un vice contraire à la patience, car elle empêche les gens de se laisser impressionner ou d’être préoccupés respectivement par un bien ou par une épreuve.

 

La patience et les âges : les petits enfants

 

On pourrait penser que le remède à l’impatience réside précisément dans cette indifférence et cette dureté de coeur qui semblent permettre de surmonter les difficultés. Cependant, peut-on considérer comme “patient” celui qui ne sent pas ce qu’il s’agit de supporter ? Nous avons déjà répondu par la négative. Il ne s’agit pas supprimer les sentiments des enfants car ils font partie de leur personnalité. Il faut avoir de forts sentiment, mais également savoir les maîtriser à l’aide de la volonté. Ainsi, les parents devront-ils aider leurs enfants à développer leurs sentiments et, parallèlement, la patience requise pour que le désir d’atteindre le bien soit une force vitale en chacun, et pas seulement une raison intellectuelle.

Le climat nécessaire au développement de la patience dépend en grande partie de la sécurité affective dans laquelle on vit. Plus les parents se montreront capricieux dans leurs exigences et réagiront de manière émotive et instable face aux comportements de leurs enfants, faisant une tragédie d’un petit rien, moins les enfants bénéficieront de cette sécurité. C’est grâce à des parents exigeants et compréhensifs à la fois, et manifestement affectueux que les plus petits peuvent garder la paix intérieure dont ils ont besoin. A travers les relations qu’ils ont avec leurs enfants, les parents peuvent donner l’impression qu’ils les rejettent ou qu’ils les acceptent. Il est vital pour tout un chacun de se sentir accepté par une personne que l’on admire. Ce n’est qu’à cette condition que l’enfant peut comprendre qu’il est bon de supporter des contraintes et des souffrances. Car leurs parents lui en ont expliqué le bien-fondé.

Les parents peuvent apprendre à leurs enfants à accepter les contrariétés, les contraintes et les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Ils peuvent aussi les encourager à attendre avec sérénité que les événements sympathiques se produisent. Encore une fois, il est bon que les enfants aient des sentiments très forts, mais à condition qu’ils apprennent à les dominer.

A cet égard, nous pourrions considérer deux types d’enfants : ceux qui réagissent violemment face aux difficultés et ne savent pas attendre, et ceux qui, par nature, sont abouliques, amorphes. Ce sont les premiers qui se disputent avec leurs frères et soeurs et ne savent pas se contrôler, sont incapables de supporter une visite chez le médecin ou le dentiste sans crier ou se montrer “hystériques”, passent d’une activité à l’autre sans jamais rien achever, à cause du temps et des efforts suivis que cela suppose. Ce sont les mêmes qui ne savent pas attendre la fin de la semaine pour recevoir leur argent de poche, ni choisir le bon moment pour prendre la parole sans interrompre les autres continuellement. Cette liste n’est pas exhaustive, mais ces exemples me semblent suffisants pour caractériser le type d’enfants auquel je me réfère.

Si l’on veut éduquer un enfant qui présente l’une de ces caractéristiques, il faut adopter une attitude confiante et sereine, sans chercher à résoudre les problèmes en alternant récompenses et punitions excessives, mais en montrant sa satisfaction à chaque fois que l’enfant aura réussi à se dominer.

D’autre part, il nous faut juger ce qui est spécifiquement important pour l’enfant, car ce dernier n’a pas les mêmes critères de jugement que ses parents. Par exemple, un enfant de six ans peut tenir absolument à interrompre ses parents pour leur raconter un événement, sans comprendre qu’il doit les laisser achever leur conversation. Il sera alors préférable de le laisser parler, reconnaissant par là l’importance que la chose revêt pour l’enfant. On ne peut en dire autant de l’enfant de dix ans qui doit déjà avoir appris à respecter les autres.

Il est bon, également, de faire savoir à l’enfant que la souffrance et les inconvénients ne sont pas à éviter à tout prix. Il ne s’agit pas de les protéger pour qu’ils ne souffrent pas, mais plutôt rester à leurs côtés pour les aider à comprendre qu’ils peuvent surmonter la difficulté par leurs efforts. Par ailleurs, les parents peuvent remarquer que leurs enfants se montrent impatients dans certaines situations mais pas dans d’autres, ou supportent un dommage causé par telle personne et non par telle autre. Il est logique, en ce sens, qu’un enfant accepte relativement bien - non sans contrariété cependant - ce qu’un plus jeune lui a fait, et qu’il se fâche contre un enfant de son âge. De plus, cela donne l’occasion de relever ce penchant et de faire de l’enfant un co-éducateur de ses frères et soeurs plus jeunes en lui disant, par exemple : “Il faut supporter les plus petits que soi pour qu’ils apprennent à mieux faire les choses”. Il est plus difficile de leur faire admettre cela lorsqu’ils ont en face d’eux des enfants de leur âge voire plus âgés. Cela viendra lorsque leur capacité de raisonner sera plus grande.

Les enfants indifférents posent un tout autre problème. Ils semblent patients parce qu’ils sont sans réaction. Cependant, leur attitude exprime un manque d’intérêt pour les autres et pour leurs propres capacités. Il faudrait alors les intéresser à une activité qu’ils puissent mener à bien sans trop de difficultés, et même exagérer les réactions affectives, en montrant à l’enfant des aspects de la vie qu’il n’a pas encore découverts.

Pour ces enfants comme pour les autres, les contacts humains avec la famille et avec d’autres personnes sont très éducatifs, car on peut rencontrer chez les gens des attitudes, des façons de ressentir les choses et d’agir diamétralement opposées à notre personnalité. Cela peut inciter l’enfant à faire des efforts pour s’adapter. Ainsi, l’enfant unique, parce qu’il fait l’objet de trop d’attention de la part de ses parents dans ce qui relève d’un comportement d’adultes, perd de son naturel et de sa gaieté. Cependant, lorsqu’il se retrouve en compagnie d’autres enfants de son âge, il change complètement d’attitude.

A travers les relations qu’ils peuvent avoir, les enfants découvrent leurs sentiments. Ils découvrent habituellement cet aspect de leur personnalité dans ce qu’il y a de plus naturel, au contact d’autres personnes, mais également au contact de la nature. L’émotion peut naître de l’observation d’une combinaison de couleurs ou de formes ; à l’écoute de certains sons : le vent dans les arbres ou le chant des grillons ; alors que l’on savoure un fruit sauvage, que l’on perçoit le sel dont est chargée la brise marine ou la senteur du foin, ou encore en faisant ruisseler entre ses doigts l’eau d’une source. Avec un regard contemplatif, on trouve dans la nature mille occasions de se remplir de paix intérieure. Les stimulants que représentent la télévision et le cinéma, ainsi que d’autres progrès technologiques altèrent souvent cette paix, faisant oublier à l’homme qu’il fait partie de la création de Dieu. Et, bien sûr, on peut aussi trouver la paix en vivant en présence de Dieu, en Lui parlant, en aménageant, dans notre journée, des moments réservés à nous unir à Lui directement, à travers la prière et les sacrements.

 

Les plus grands

 

C’est vers l’âge de dix ans qu’il convient d’insister sur la vertu de la patience. Avant cet âge, il s’agit de créer un climat favorable, fondé sur un sentiment de sécurité que les enfants garderont s’ils comprennent que les exigences parentales sont raisonnables et bienveillantes. Par la suite, nous pouvons raisonner un peu plus avec les enfants et leur donner des points de repère. Il est très important de renforcer le climat nécessaire à cette paix dont nous avons parlé, mais les enfants sont désormais plus à même de reconnaître le sens des efforts que nous leur suggérons ou imposons. Ils doivent savoir prendre du bon côté les difficultés et contrariétés qui surgissent et attendre ce qu’ils désirent avec un enthousiasme raisonnable.

Quel type d’activité peut-on créer ou exploiter pour parvenir à ce résultat ? Nous avons déjà donné quelques caractéristiques à prendre en compte, et si nous les relisons, nous verrons qu’il existe un nombre infini d’occasions. Certaines sont imposées et, de ce fait, plus difficiles à accepter - une longue maladie, la perte d’un bien particulièrement chéri, les moqueries continuelles d’un camarade, la découverte de nos propres insuffisances et de notre incapacité, ou un effort pour se surpasser dans les études qui se solde par un nouvel échec. Il faut alors trouver des compensations - parmi lesquelles l’affection et le raisonnement des parents sont les plus propres à aider l’enfant à surmonter volontairement sa tristesse ou son impatience - sous la forme d’activités plaisantes qui, elles aussi, demandent une certaine patience.

C’est ainsi que nous revenons à l’exemple de la pêche pour l’exploiter plus avant. Tout apprentissage requiert patience et persévérance : jouer de la guitare ou d’un autre instrument, apprendre une langue ou la dactylographie. On peut encore citer la constitution de collections, l’aéro-modélisme ou l’exécution d’un programme d’amélioration conçu par l’enfant lui-même. Mais la patience qui nous intéresse le plus est celle qui s’exerce au service des autres.

 

La patience envers les enfants

 

Saint Thomas affirme que la patience est la vertu qui permet de supporter les maux présents, notamment ceux que nous infligent les autres, sans qu’il n’en découle jamais de tristesse surnaturelle.

La clé du rôle de l’éducateur, c’est la patience. Tout simplement parce que les résultats de son action ne sont visibles qu’à long terme. Ou, du moins, ce qu’il peut voir à court terme n’est pas l’essentiel. De plus, la tâche  et l’action de l’éducateur comportent de nombreuses difficultés, et il doit endurer bien des contrariétés avant d’atteindre l’objectif fixé - si toutefois il l’atteint un jour.

Pour bien des parents, les degré optimal de patience recherché est une résignation face à la situation, sans plaintes ni impatience. Il est certain qu’il faut lutter tous les jours contre le désir d’obtenir des résultats immédiats, de voir son enfant se comporter et évoluer d’après l’idée préconçue que l’on se fait d’un bon enfant. En revanche, une fois que l’on a compris qu’il ne s’agit pas tant de répondre à nos souhaits personnels que de donner à l’enfant les moyens de devenir ce que Dieu veut qu’il soit, il sera plus facile de se montrer patient, d’accepter les contrariétés, non seulement avec résignation mais avec paix et sérénité. Cette attitude implique que l’on surmonte la tristesse ou la mélancolie qui semblent inséparables de la résignation. A partir du moment où l’on saisit la valeur des contrariétés ou de la souffrance que nous causent les enfants, on peut, en les acceptant, en tirer une joie véritable - à tel point que, d’une certaine manière, la douleur et le plaisir coïncident. “Je suis arrivée au point de ne pouvoir souffrir, car toute douleur m’est douce”. (Sainte Thérèse de Lisieux).

Cela se rapporte à l’attitude des parents envers les enfants. Mais, dans la vie quotidienne, est-il nécessaire que les enfants remarquent la patience de leurs parents ? Pour ce qui est de l’acceptation et de la compréhension, je répondrai que oui. Les enfants doivent sentir que leurs parents sont disposés à les écouter, à s’occuper d’eux. Ils ont besoin de savoir que leurs parents souhaitent qu’ils soient heureux. Cela suppose que les parents ne laissent jamais leurs enfants penser qu’ils sont une charge indésirable, mais le véritable objet de leur amour. Et il ne doivent pas se limiter à cette attitude, mais apprendre aux enfants à faire de même envers eux, leurs parents, envers leurs frères et soeurs et envers leurs amis.

Il ne s’agit pas néanmoins de se résigner passivement devant ce qu’ils disent et font. Nous avons le devoir et le droit d’indiquer aux enfants si leur actions sont bonnes ou mauvaises. C’est pourquoi la colère et la joie, ainsi que d’autres passions, sont légitimes, à condition qu’elle soient contrôlées par la raison ; je veux parler de la colère qui se transforme en une indignation justifiée, et de la joie que l’on manifeste lorsque l’enfant a agi pour le bien d’autrui, par exemple.

Chaque enfant requiert une attention particulière de la part de ses parents : plus ou moins d’affection, de temps ou d’exigences. Mais tous ont également besoin que l’on se montre compréhensifs envers eux. Et c’est la vertu de la patience qui “nous incite à comprendre les autres, persuadés que les âmes, comme le bon vin, s’améliorent avec le temps”.

 

 

Retour page vertus humaines