La prudence
“Dans son travail et dans ses relations avec les autres, la personne prudente relève des informations qu’elle juge à la lumière de critères droits et vrais : elle mesure les conséquences positives et négatives, pour elle et pour les autres, avant de prendre une décision, puis agit ou s’abstient, en s’en tenant à la décision qu’elle a prise.
L’étude d’un certain nombre de vertus nous a révélé la nécessité d’en comprendre le sens pour pouvoir ensuite agir de façon rationnelle dans l’éducation des enfants. Au départ, une vertu peut sembler facile à enseigner, mais une réflexion approfondie permet de découvrir toutes sortes de moyens d’y parvenir. En outre, les parents qui cherchent le bien de leurs enfants et connaissent le sens de ce qu’ils cherchent ne mesurent peut-être pas le danger que représente le fait d’insister sur une vertu au détriment d’une autre. Ou peut-être n’ont-ils pas considéré chaque enfant comme un cas particulier, avec son tempérament, ses qualités et ses potentialités. La vertu de prudence facilite une réflexion adéquate avant de juger chaque situation et de prendre une décision d’après des critères droits et vrais. En tant que parents, nous avons besoin de la vertu de prudence, “pour être justes, pour vivre la charité, pour servir efficacement Dieu et les âmes. Ce n’est pas sans raison que l’on a appelé la prudence genitrix virtutum, mère de toutes les vertus, et aussi auriga virtutum, canal de toutes les vertus” .
Il est évident que cette vertu n’est pas la tendance à ne pas s’engager pour le cas où les choses tourneraient mal, même si certaines personnes ne se fixent jamais aucun objectif, passant leur temps et dépensant leurs énergies à fuir la responsabilité qu’ils ont de s’assumer. La négligence est un vice contraire à la vertu de prudence, au même titre que l’imprudence. Nous reviendrons plus loin sur les difficultés que présente le développement de cette vertu, mais insistons pour l’instant sur l’importance de la prudence chez les parents.
La prudence des parents
L’un des principaux problèmes que rencontrent les parents réside dans le fait que la vie de famille exige une activité constante, qui rend la réflexion difficile, et qui oblige à réagir face aux situations nouvelles, plus qu’à les affronter avec sérénité pour pouvoir prendre les bonnes décisions. Il est possible que les parents ne prennent aucune décision “importante” durant certaines périodes. Cependant, ils prennent toute une série de petites décisions qui devraient respecter certains critères déjà assimilés par le passé. Or il est possible que certaines de ces décisions ne soient pas compatibles avec les valeurs que la famille veut faire siennes, simplement parce qu’elles n’ont pas été suffisamment réfléchies. Il arrive aussi que les parents agissent avec leurs enfants en utilisant des méthodes techniquement très efficaces, tout en étant mus par des motifs très pauvres, voire égoïstes.
La vertu de prudence “est à la fois intellectuelle et orientée vers l’action : elle appréhende la réalité pour ensuite guider la volonté et l’action” . C’est pourquoi les parents qui cultivent cette vertu sont plus à même de cerner clairement leurs objectifs et de découvrir les meilleurs moyens d’y parvenir.
Les difficultés que peuvent avoir les parents pour agir prudemment sont celles que toute personne rencontre dans son travail et dans ses rapports avec les autres. D’une part, il existe ce que nous pourrions appeler une “fausse prudence”, “au service de l’égoïsme, qui profite de tous les moyens pour parvenir à des fins tordues. Dans ces conditions, l’intelligence et la perspicacité ne font qu’aggraver la mauvaise disposition”. Les parents devraient réfléchir sérieusement aux fins qu’ils considèrent importantes pour eux-mêmes et pour leurs enfants, de telle sorte que l’éducation puisse être cohérente. Le pédagogue doit envisager comme faisant partie de sa mission le fait d’aider l’enfant à assimiler librement toute une série de valeurs, de telle sorte qu’elles acquièrent pour lui un sens réel et bien défini. Si ces valeurs sont mal définies, la prudence, en tant que vertu, perd tout son sens.
Les autres problèmes qui peuvent surgir sont liés à la capacité des parents de recueillir une information adéquate sur la situation qui se présente à eux, d’évaluer l’importance de chaque élément, de distinguer entre ce qui est important et ce qui l’est moins, entre les faits et les opinions.
L’imprudence - qui inclue la précipitation, l’irréflexion et l’inconstance - est très liée au manque de maîtrise des passions. Ce vice peut conduire les parents à se faire des préjugés sur leurs enfants ou à les cataloguer, sans comprendre que la personne est dynamique et change un peu tous les jours. Nous avons tous nos manies, petites ou grandes, et elles peuvent influencer notre vision de chaque situation. Certains parents insistent aveuglément pour que leurs enfants apprennent le même métier qu’eux. D’autres, par colère ou par envie, ont des exigences injustes envers leurs enfants, d’autres encore, sachant clairement ce qu’ils veulent, croient que leur objectif, qui est bon, justifie les moyens employés pour l’atteindre.
Ainsi, il est clair qu’il existe bien des domaines où l’on peut progresser en prudence. Mais pour ce faire, il faut avoir de solides motifs. Et il n’existe en réalité qu’un motif valable pour être prudent : le désir de conformer nos décisions et les actes correspondants à la fin poursuivie. On peut pratiquer cette vertu en vue de mieux s’entendre avec les autres ou être plus efficace dans son travail mais, pour un chrétien, la motivation essentielle doit être l’accomplissement de la volonté de Dieu.
Développer la prudence
Au terme de ces considérations, on s’aperçoit que la vertu de prudence nécessite un certain niveau intellectuel. Il s’agit en effet de savoir discerner, d’avoir des critères, de juger et de décider. Cela veut-il dire qu’il soit inutile de former cette vertu chez les plus jeunes ? D’une certaine manière, oui. Le petit enfant aura beaucoup de mal à agir prudemment. Mais, dès qu’il commence à prendre des décisions personnelles dans une sphère d’autonomie limitée, il a besoin de la prudence. Normalement, le plus prudent, pour lui, c’est d’obéir à ses éducateurs ; lorsqu’il aura acquis les critères pour pouvoir décider dans des situations concrètes, il pourra commencer à développer cette vertu. De cette façon, l’apprentissage se fait, de l’obéissance totale à la prise de décision éclairée par les conseils demandés par l’enfant. Puis il faudra expliquer clairement à l’enfant dans quelles domaines il peut décider librement, et dans lesquels il doit demander conseil. Plus précisément, l’enfant va avoir besoin du jugement d’un autre pour des questions où il est insuffisamment informé en raison de son âge ou de la complexité de la situation elle-même. Il aura également besoin d’une orientation dans chaque situation pour lui.
Par la suite, le processus de développement de la vertu dépendra de l’acceptation progressive, par le jeune, de la responsabilité d’agir avec prudence à chaque fois qu’il doit prendre une décision et ce, dans des situations de plus en plus diversifiées. Il lui faudra pour cela apprendre à saisir la réalité avec discernement, à reconnaître les critères susceptibles de guider son jugement en vue de prendre la bonne décision.
Savoir appréhender la réalité
En considérant les différents aspects de cette vertu, nous allons nous concentrer sur les jeunes de quinze à vingt ans, car leur tranche d’âge se caractérise par un développement plus important de la capacité de raisonnement, mais nous parlerons également des plus jeunes.
Bien que la prudence s’applique à des situations concrètes, cette habitude devrait évidemment se fonder sur des dispositions qui facilitent son développement. Pour connaître la réalité, il faut en premier lieu vouloir la connaître, et savoir que l’on n’est pas en possession de toute la vérité. La personne autosuffisante et orgueilleuse peut fort bien considérer sa propre capacité de connaître la vérité tellement supérieure qu’elle n’éprouve pas le besoin de remettre en question son appréciation première ni de corroborer l’information qu’elle détient. L’attitude que nous voulons avoir est la suivante : sans mésestimer la valeur de notre appréciation personnelle, il faut reconnaître ses limites et essayer de juger objectivement les données dont on dispose.
Les adolescents ont l’habitude de voir les choses d’une façon peu nuancée. Peut-être cela vient-il du fait qu’ils tendent à juger les situations sans réfléchir sur l’exactitude des informations reçues. Concrètement, il se peut qu’ils accusent quelqu’un d’avoir commis une injustice sans avoir pris la peine de vérifier les faits ; ou bien qu’ils jugent des personnes à partir d’une simple information, incomplète ou partiale, lue dans le journal. D’autres entreprennent une action sans réfléchir à leur capacité réelle de la mener à bien, ni tenir compte des implications possibles de leurs actes.
Tout cela nous amène à souligner la nécessité de développer un ensemble de capacités chez les enfants :
- la capacité d’observer
- celle de distinguer entre faits et opinions
- celle de distinguer entre ce qui est important et ce qui est secondaire
- celle de rechercher l’information
- celle de sélectionner les sources d’information
- celle de reconnaître leurs propres préjugés
- celle d’analyser avec esprit critique l’information reçue et de vérifier tout aspect douteux
- celle d’établir des rapports de causalité
- celle de reconnaître quelle information est nécessaire dans chaque cas
- celle de se souvenir.
Toute capacité liée à l’information suppose des choix et, pour pouvoir faire un choix, il faut adopter des critères de sélection.
Nous avons dit que l’on devait éviter de faire cette sélection en se fondant, même inconsciemment, sur ses propres préjugés. Il est possible que l’on retienne une source d’information, mû par la sympathie, au détriment d’une autre source moins attirante ou qui suppose un plus grand effort. Il faut rechercher l’information la plus objective, la plus complète, la plus exacte possible.
Un enfant peut sélectionner de bonnes informations dès qu’il a acquis les capacités fondamentales pour le faire, c’est-à-dire celle d’observer, mais également celle de lire et d’assimiler ce qu’il a lu et celle d’écouter. Ce faisant, il acquiert une vision plus ample de la réalité mais, comme nous l’avons dit, il s’agit en même temps de savoir quoi observer, quoi lire, qui écouter et comment.
Pour ce qui est d’appréhender la réalité, il est opportun d’insister, chez les plus jeunes, sur la capacité d’observation, en les aidant à découvrir de nouveaux aspects de la vie, à fixer leur attention et à se montrer plus sensibles. On peut, par exemple, attirer leur attention sur un oiseau pour que, en l’observant, ils apprennent à reconnaître ses caractéristiques. De cette façon, ils apprennent aussi à classer les animaux, les plantes, etc., ce qui constitue en soi un acte de jugement en fonction de certains paramètres. L’information primordiale pour reconnaître un oiseau peut être sa forme, sa couleur ou sa façon de chanter. L’information secondaire sera l’endroit où il se trouve : sur une chaise ou sur un tronc d’arbre. Si deux frères ont vue l’animal en question, cela permettra de leur montrer que chacun l’a vue sous un angle différent : couleur, taille, etc. Ils découvriront ainsi qu’il existe des opinions et des faits, et que chacun peut voir les choses d’un point de vue différent. S’ils prennent note des faits observés, ils pourront rechercher l’animal dans un ouvrage spécialisé en bibliothèque ou interroger un expert. Ils apprendront que, parmi plusieurs sources, on peut en trouver une plus fiable, et leur maman n’est peut être pas la personne la mieux qualifiée pour identifier un oiseau. Jusqu’à présent, nous avons suivi l’ordre des capacités énumérées plus haut, et nous pourrions très bien utiliser le même exemple pour toute la liste, jusqu’à la “capacité de se souvenir”. La conséquence de ce processus sera que l’enfant pourra juger correctement en accord avec de bons critères.
Tout en maintenant l’attention des enfants sur des centres d’intérêt de ce type, les parents peuvent développer leur sens de l’observation par des jeux simples, ou en leur demandant ce qu’il ont vu à la fin d’une émission de télévision.
La capacité de lire peut être utilisée de pair avec la prudence pour distinguer entre faits et opinions (dans le journal, par exemple), entre ce qui est important et ce qui est secondaire, pour comprendre la nécessité de disposer de sources d’information diversifiées. Mais peut être la lecture sert-elle de façon plus spécifique à acquérir de bons critères de jugement. Pour cela, les enfants ont besoin des conseils de leurs parents et professeurs.
En ce qui concerne l’écoute, les enfants doivent apprendre à évaluer la fiabilité de la personne qui les informe - un ami, leurs parents, etc. Il faudrait faire en sorte que cette écoute soit attentive et leur permette de retenir l’essentiel.
En résumé, nous avons essayé d’indiquer comment stimuler la capacité de connaître la réalité chez les jeunes enfants, en ayant recours à des centres d’intérêt où l’observation, la lecture et l’écoute permettent d’amorcer un processus devant aboutir à la formation de leur jugement.
Chez les plus grands, le processus est le même, mais les centres d’intérêt sont plus complexes. Peut-être les jeunes voudront-ils prendre position sur des problèmes tels que le bien-fondé des centrales nucléaires, la liberté de l’enseignement, la valeur d’un livre ou d’un film. Agir prudemment suppose que l’on ait suivi les étapes mentionnées plus haut. Si on les traduit par des questions à poser aux enfants, on obtient :
- Que sais-tu de ce sujet ?
- Quelles sont tes sources ? Sont-elles fiables ? Sont-elles adéquates ?
- Ton opinion est-elle déjà faite sur le sujet, indépendamment des informations que tu détiens ? En d’autres termes, as-tu des préjugés sur la question ?
- Tes informations comportent-elles des lacunes ?
- Si c’est le cas, comment peux-tu y remédier ?
- As-tu passé au crible ces informations, pour distinguer entre ce qui est important et ce qui est secondaire, entre les faits et les opinions ?
Puis vient la question-clé :
- Quels critères as-tu sélectionné pour juger cette information ? Sont-ils bons ?
Savoir juger
La capacité de juger comporte deux éléments : l’établissement de critères adéquats et l’appréciation de la situation en accord avec ces critères. Et jusqu’à présent, nous avons parlé d’une capacité qui est le “jugement critique”, que l’on pourrait décrire ainsi : “une fois établis les critères adéquats pour juger d’une situation donnée, le jugement critique reconnaît les différents éléments composant la situation et les évalue correctement à la lumière de ces critères”.
La capacité technique d’évaluer un fait en fonction de critères est absolument essentielle. Nous pouvons l’enseigner aux enfants en exploitant des situations quotidiennes. Prenons, par exemple la publicité à la télévision. J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une capacité technique, c’est pourquoi nous laissons pour le moment de côté la valeur des critères utilisés, en présumant que, dans ce cas, les valeurs morales n’entrent pas en ligne de compte. En ce qui concerne la publicité à la télévision, les parents pourraient chercher les critères permettant de définir ce qu’est une bonne publicité. Il peuvent suggérer, par exemple, la présence d’une musique de fond très rythmée, la nécessité de répéter le nom du produit plusieurs fois et de faire ressortir ce qui le caractérise par rapport aux autres produits du même type. On ne peut pas dire que ces critères soient en l’occurrence les bons critères. Il ne s’agit que d’un exercice. Après avoir établi ces critères, on peut proposer une analyse de différentes publicités, ainsi qu’une notation d’après lesdits critères. On répètera l’opération en employant des critères différents. De cette façon, les enfants s’entrainent à analyser, à établir des critères et à apprécier la situation en accord avec ceux-ci. En outre, cela peut être l’occasion d’approfondir sur la manière dont la publicité nous influence, et sur les critères d’une bonne publicité d’un point de vue professionnel. De la même façon, on peut appliquer l’exercice à un livre, un film, un article de journal, et à tout événement qui oblige l’enfant à prendre position.
Cette méthode n’est cependant pas réservée aux plus grands. Si l’on interroge les jeunes enfants sur les caractéristiques d’un bon cadeau de Noël et si l’on échange avec eux quelques impressions, on peut par exemple établir les critères suivants : qu’il soit résistant, bon marché, polyvalent, utilisables par tous. On pourra ensuite leur faire porter un jugement sur des jeux ou des jouets bien concrets en utilisant pour chacun ces critères.
Dans ce cas, il va sans dire que l’on essaie également d’établir des critères corrects. Nous reviendrons sur cette question. Mais il convient en premier lieu que les enfants sachent quand ils portent un jugement juste, et quand leur critique est sans fondement. Nous utilisons constamment des mots vagues qui devraient être explicités. Nous disons, par exemple, “cela, c’est important”, ou “ce fut une expérience très intéressante”. Qu’entendons-nous par “important” et “intéressante”. Les efforts que l’on fait pour expliciter ces mots ne peuvent qu’aider l’enfant à développer son jugement critique. En d’autres termes, la personne a besoin d’avoir les idées claires sur les critères qu’elle utilise au moment de juger les faits.
La prudence comme vertu trouve son sens plein lorsque la personne reconnaît la raison d’être de sa vie. Pieper écrit : “seul peut être prudent celui qui, au préalable, aime et veut le bien ; mais, seul celui qui est prudent peut faire le bien. Et comme, en même temps, l’amour du bien grandit grâce à l’action, plus celle-ci est féconde, plus la prudence gagne en solidité et en profondeur”. Aimer le bien suppose de reconnaître les valeurs permanentes qui le composent. Ce n’est qu’ainsi que les jeunes pourront juger correctement. Par exemple, si un enfant n’a pas accepté l’importance de la justice, il peut décider de faire une chose égoïstement, en faisant un parfait usage de son sens critique, mais en se montrant imprudent et également injuste envers les autres. Il peut examiner tous les moyens possibles de se procurer un plaisir superficiel et en choisir quelques uns avec une grande efficacité en fonction de ses propres goûts, qui constituent son seul critère, au lieu de sélectionner, parmi un large éventail, des activités qu’il pourrait réaliser en faveur des autres, en prenant leurs besoins comme critère de décision.
Cela veut dire que les parents doivent proposer des critères à leurs enfants, de telle façon qu’ils sachent lesquels adopter à chaque moment. Pour donner quelques exemples allant de l’enfance à l’adolescence, on pourrait citer :
- des critères de comportement à la maison : rapports entre travail, temps libre, aide aux autres, etc.
- des critères pour juger les actes des autres : l’injustice d’un camarade, qui a raison dans une discussion, etc.
- des critères pour juger s’il convient de lire un livre ou de voir un film ;
- des critères pour juger de problèmes sociaux ou personnels ;
- des critères pour savoir si l’on est en train d’agir avec justice, générosité, sincérité, respect des autres et prudence.
En résumé, il s’agit d’aider les enfants à juger selon les règles du jeu établies, selon les normes usuelles et ordinaires et selon les principes les plus élevés.
La prise de décisions
La prudence suppose que l’on prenne des mesures pour réaliser le bien. Il ne suffit pas de juger, il faut prendre une décision qui soit conforme à notre jugement.
Au moment de décider, il faut prendre en compte l’information et le jugement dont nous avons parlé, et comprendre que la décision elle-même peut être prise au bon ou au mauvais moment. En second lieu, il faut prévoir les conséquences de la décision prise, parce que l’action ne découle pas toujours clairement du jugement. Par exemple, une situation impliquant un manque de loyauté entre un homme et une femme peut être jugée, d’après des critères droits et vrais, comme intrinsèquement mauvaise. Mais il ne s’ensuit pas nécessairement que la victime de la déloyauté doive en être informée. Les conséquences possibles des différentes alternatives doivent être mesurées. Et cela doit constituer la base de tout acte de décision : considérer les différentes voies qui s’offrent à nous pour atteindre une fin, d’après une évaluation correcte de la situation.
On pourrait penser que l’homme prudent est celui qui ne se trompe jamais parce qu’il ne prend pas de décisions. C’est faux. L’homme prudent est celui qui sait rectifier ses erreurs. “Il est prudent parce qu’il préfère se tromper vingt fois plutôt que verser dans un trop facile abstentionnisme. Il agit ni avec folle précipitation, ni par témérité, mais il assume le risque de ses décisions et ne renonce pas à atteindre le bien par peur de l’échec”.
Les décisions que les enfants ont à prendre concernent leur travail, leurs relations familiales et sociales. Il s’agit de décisions qu’ils devraient prendre après avoir jugé une personne ou un événement, lorsqu’ils sont confrontés à des situations conflictuelles ou doivent s’adapter à un changement, après avoir réfléchi sur les valeurs qu’ils considèrent importantes dans leur propre vie, dans la planification de leur future carrière, etc.. Et c’est le moment, pour les parents, d’aider leurs enfants : d’abord, pour qu’ils comprennent et intériorisent leurs ordres ; puis, pour qu’ils considèrent différentes alternatives ; enfin, en les interrogeant pour être sûrs qu’ils réfléchissent avant de prendre une décision. Il n’y pas de recette-miracle. Le risque que l’on prend en laissant les enfants décider devrait toujours être bien pesé.
Il faut savoir également que, selon la nature du problème, le plus difficile, ce qui exige le plus de temps et d’efforts peut être de recueillir l’information, de juger la situation ou de prendre la meilleure décision. Dans certains cas, l’homme prudent agira sur le champ parce qu’il est déjà en possession de toutes les données du problème, ou bien parce que en s’abstenant, il porterait préjudice aux autres ou à lui-même. Dans d’autres cas, les préliminaires lui prendront du temps. Il existe deux vertus, parties intégrantes de la prudence, correspondant respectivement à ces deux alternatives : la sagacité et la raison.
La prudence nécessite une orientation, des conseils, et les parents doivent aussi apprendre à conseiller sans imposer. On remarque qu’un enfant essaie de vivre la prudence lorsqu’il demande conseil, recherche les sources d’information adéquates, pèse cette information et en discute avec ses parents et avec d’autres personnes, devient une personne de jugement et agit ou s’abstient, après avoir mesuré les effets qu’une éventuelle action pourrait avoir sur lui et sur les autres.