L’audace

 

“La personne audacieuse entreprend et réalise différentes actions qui peuvent paraître peu prudentes, convaincue, après une réflexion sereine sur la réalité, avec les possibilités et les risques qu’elle comporte, qu’elle peut atteindre un bien authentique”.

 

Avant de réfléchir sur l’audace en tant que vertu, nous allons la commenter en tant que passion, car le développement de la vertu dépend, en grande partie, de la force de la passion correspondante. L’audace est une passion de l’appétit irascible, qui lutte pour dominer un mal ou pour atteindre un bien. La passion en tant que telle est aveugle et, par conséquent, peut produire des résultats peu prudents. C’est la raison pour laquelle, dans l’éducation, la vertu nous intéresse plus que la passion. La passion n’est qu’un mouvement instinctif, né de la perception instantanée d’un but possible, mais elle peut s’évanouir à tout moment.

La prudence est nécessaire à l’audace, qui requiert également une passion forte. On peut évidemment arriver à trouver une motivation suffisante pour être audacieux dans la poursuite du bien. Mais si l’on dispose au départ d’une force innée, on pourra arriver beaucoup plus loin. Comme le dit Saint Thomas : “L’audace augmente avec la force corporelle, la santé et la jeunesse”.

Mais cette même audace peut conduire la personne à des situations qui portent préjudice à son amélioration. Horace écrit : “L’humanité, dont l’audace n’a pas de limite, s’aventure jusqu’à ce qui est totalement interdit”. La vertu de l’audace, partie de la magnanimité, aide la personne à poursuivre le bien et à se lancer dans de grandes entreprises, convaincu qu’il peut atteindre quelque chose qui en vaut vraiment la peine”. Et pour qu’elle soit une vertu, il faut qu’il y ait prudence. “Celui qui, sans réflexion et avec indifférence, s’expose à toutes sortes de dangers n’est pas courageux car, en se comportant de la sorte, il laisse entendre que tout est pour lui plus précieux que sa propre intégrité, sans tenir compte des différences ni prendre le temps de réfléchir, intégrité qu’il met par là même en danger”.

Il faudrait alors se demander : Pourquoi courir des risques ? Comment peut-on justifier un acte qui paraît imprudent ? Simplement par la connaissance certaine du résultat. C’est précisément pourquoi personne n’est plus motivé qu’un chrétien pour vivre cette vertu. Le chrétien fonde son audace sur l’espérance surnaturelle de biens qui dépassent toute attente humaine et qu’il doit rechercher par delà tous les risques.

Après ces considérations, peut-être sommes-nous plus à même de nous poser les problèmes liés à l’éducation de la vertu. Au départ, il semble qu’il s’agisse de favoriser les conditions adéquates pour qu’il puisse y avoir, chez les enfants, une passion forte. En même temps, il faudra les aider à discerner la fin ou les fins authentiquement valables, puis à prendre une décision consciente, réfléchie, enracinée dans des convictions et non dans des intuitions et des caprices. Voilà les questions que nous allons examiner.

 

Les conditions de l’audace

L’être humain, normalement, est capable de faire beaucoup plus et mieux que ce qu’il croit, laissé à sa seule intelligence. Il se limite continuellement, parfois inconsciemment, par fausse prudence, par paresse, par manque de confiance en ses propres possibilités ou parce qu’il n’a pas développé progressivement ses talents - son corps, son intelligence, ses capacités - de façon à pouvoir saisir les occasions qui se sont présentées. C’est pourquoi, l’audace suppose que l’enfant ait appris à reconnaître ses propres possibilités et à les expérimenter. Ce n’est qu’ainsi qu’il pourra acquérir une confiance en soi raisonnable.

Parmi les conditions indispensables à l’audace, il en est une particulièrement importante. Je veux parler de la maîtrise du corps. Et cela pour deux raisons. Si l’on se laisse guider par ses instincts pour rechercher un plaisir superficiel, on ne distinguera jamais clairement aucun bien authentique. En second lieu, le corps a besoin de l’attention qui lui est due pour que les autres attributs puissent se développer normalement. La santé, la “bonne forme”, favorise les bonnes résolutions - à prendre et à tenir.  Evidemment, cela ne signifie pas qu’une personne malade ne puisse être audacieuse, mais que celui qui peut disposer de la santé et de bonnes conditions corporelles doit faire le nécessaire pour les conserver, sinon, il mépriserait un instrument important pour entreprendre des actions en vue d’un bien authentique.

L’éducation physique est un sujet peut connu des parents. L’attention prêtée par la plupart des parents dans ce domaine prend généralement la forme de médicaments ou, au moins, de vitamines, lorsqu’ils en perçoivent le besoin chez leurs enfants. Mais ceux-ci ont aussi besoin de fournir des efforts dans la pratique d’un sport et d’autres activités nécessitant un effort physique et mental qui oblige le corps à faire plus qu’il ne ferait instinctivement. Le corps se maintient en forme par un exercice raisonnable et par une nourriture adéquate. En ce sens, il ne faut pas oublier l’importance d’un régime alimentaire équilibré, non seulement pour la santé physique, mais également pour le développement moral de l’enfant.

Il existe deux vices contraires à la vertu de l’audace : la témérité ou hardiesse et la pusillanimité ou lâcheté. Nous traiterons plus tard les problèmes liés au premier. Réfléchissons à présent sur la pusillanimité. La personne qui n’a pas confiance en ses qualités et capacités peut finir par être pusillanime, car elle n’ose entreprendre aucune action qui en vaille la peine. Nous avons vu que cette défiance peut naître de la réalité, comme elle peut être le fruit de l’imagination de l’enfant. En effet, il est possible que l’enfant n’ait objectivement ni qualités, ni capacités ; ou que celles-ci soient latentes, pas encore découvertes. Le rôle des parents est d’aider les enfants à découvrir toutes leurs potentialités. Nous avons parlé de l’aspect physique, mais il y en a d’autres dont il faudra s’occuper.

Il ne s’agit pas ici de faire le résumé de tous les domaines où l’éducation doit se faire. Je voudrais seulement faire le point pour aider les parents à réfléchir sur les multiples occasions de lutte pour se dépasser dont les enfants disposent. Il est souhaitable d’aider les enfants à approfondir dans une capacité ou une qualité spécifique, de telle sorte qu’ils puissent comprendre jusqu’où ils peuvent s’améliorer par leurs efforts et leur diligence. Il faudrait aussi les guider pour qu’ils fassent différentes expériences et connaissent ainsi l’éventail de leur possibilités et de leurs limitations.

De toutes façons, ce qui paraît indispensable, c’est que les enfants s’efforcent de développer toute une série de vertus humaines car, sans elles, l’audace est impossible. La personne agit audacieusement lorsqu’elle cultive une autre vertu, que ce soit la justice, la générosité ou la patience. En d’autres termes, l’audace augmente dans la mesure où l’on apprend à aimer en vérité.

Enfin, en ce qui concerne les conditions de l’audace, il faut rappeler que la personne se sentira d’autant plus capable de faire montre de cette vertu qu’elle sera soutenue par les autres. L’enfant peut être audacieux tout seul, ou il peut soutenir une action audacieuse entreprise par ses parents, ses frères et soeurs ou par la famille toute entière. La confiance, fruit de l’amour inconditionnel qui doit régner dans la famille, de la stabilité des relations et de la possibilité pour chacun d’être accepté dans ce qu’il a d’unique, génère les conditions pour que chaque membre puisse grandir avec son style personnel. L’unité de la famille promeut et, en même temps, résulte de la lutte de tous ses membres en faveur de nobles idéaux. La société, aujourd’hui plus que jamais, a besoin de familles entreprenantes, de familles audacieuses.

 

La découverte de fins nobles

Le plus important, pour le petit enfant, c’est d’avoir l’occasion d’être en contact avec des actions, des situations, des objets qui ont quelque valeur. De cette façon, il pourra acquérir l’expérience nécessaire - guidée par les parents - pour reconnaître, en d’autres occasions, les actions, situations et objets similaires qui ont aussi de la valeur. Il remarquera un petit acte de générosité, il reconnaîtra la différence entre une pièce ordonnée et une autre sans ordre, il comprendra ce qui rend une action utile, même s’il n’en saisit pas la valeur sous-jacente.

Il s’agit ensuite d’aider l’enfant à accepter, ou du moins tolérer, ces expériences, sans essayer de les fuir, par paresse, ou parce que les résultats sont pour lui peu gratifiants. Bien des expériences qui en valent la peine sont désagréables tant que l’on en a pas compris le sens profond. Le fait de ne pas les fuir sera favorisé par le soutien affectif des parents, et par celui d’autres personnes ayant un ascendant sur l’enfant : ses frères et soeurs, d’autres parents, ses professeurs.

Si, pendant un certain temps, l’enfant fait toutes ces expériences sans saisir la différence entre l’une ou l’autre valeur, l’étape suivante consistera à mettre un nom sur chacune des valeurs, et à savoir distinguer entre l’une et l’autre. Les parents pourront demander aux enfants ce que signifie pour eux chaque expérience, puis leurs demander de continuer d’accomplir des actes bons.

Une conséquence logique de cet entraînement, c’est que l’enfant commence à entreprendre avec détermination des actions de sa propre initiative, en les rapprochant des valeurs mentionnées, même s’il fait aussi en utilisant des valeurs plus pauvres, voire des contre-valeurs dont il a fait l’expérience. L’essentiel, pour le moment, est qu’il trouve une satisfaction réelle dans le fait d’avoir entrepris la bonne action. Et, ici, il faut souligner l’importance des sanctions positives de la part des éducateurs.

Après avoir franchi ces pas, l’enfant peut arriver à agir de façon cohérente par rapport aux contre-valeurs qu’il commence dès lors à découvrir. Il peut essayer de favoriser une bonne ambiance de travail avec ses camarades de classe, par exemple, ou s’efforcer d’écouter et d’accepter les autres.

Il aura alors besoin d’approfondir intellectuellement les valeurs qu’il vit déjà en partie. Et les parents doivent parler avec lui délibérément, en proposant différents points de vue pour donner à l’enfant matière à réflexion. Ce dernier pourra ainsi se forger ses propres opinions. Il est clair que le processus dont nous avons parlé, sans vouloir le classer dans aucun âge précis, ne peut arriver à maturité qu’à l’adolescence, pas avant. C’est alors que le jeune pourra manifester clairement, avec conviction, les valeurs qu’il défend et agir de façon décisive au service de ses croyances.

A partir de ce moment, il essayera de relier entre elles toutes ces valeurs et de toujours agir de façon cohérente, en essayant d’y trouver une véritable hiérarchie.

Il est évident que si les parents parviennent à ce que leurs enfants assimilent une série de valeurs pour ensuite les intérioriser en un système unifié, les enfants auront parallèlement fait l’expérience de relier ces valeurs à leurs propres actes ; ils auront appris à découvrir ce qu’il est prudent ou non de faire dans chaque situation. Ils n’auront pas une vision mesquine de la vie, et l’audace aura un sens, car ils verront clairement que certains actes en valent la peine au nom du bien qu’ils poursuivent. Ils connaîtront mieux leur capacités et leurs qualités réelles et tenteront ainsi d’arriver là où d’autres ne sont pas parvenus.

Si quelqu’un réalise une action courageuse, convaincu de son succès, parce qu’il sait qu’il dispose des moyens nécessaires, il ne se montre pas imprudent. Mais si la même personne ne voit pas la valeur de l’action et ne dispose pas des moyens, elle est doublement imprudente.

 

Le problème de la prudence 

La vertu de l’audace implique la recherche d’un bien authentique, comme nous l’avons dit. L’audace s’appuie sur la prudence et la justice, mais elle permet à la personne de voir avec clarté quels sont ses moyens réels en fonction d’entreprises nobles et grandes. Dans la pratique, une fois reconnue la valeur de l’entreprise, comment doit-on calculer les risques ? (Nous parlons ici de l’audace en tant que vertu humaine. Nous traiterons plus tard de la vertu chrétienne).

Il n’y a aucun intérêt à être audacieux pour chercher quelque chose qui ne mène pas l’homme vers sa plénitude sur terre.  Le risque ne vaut pas la peine d’être couru. D’autre part, “plus grande est l’entreprise que l’homme désire et espère réaliser, plus son objectif est noble et plus il est clairement lié à sont but ultime, plus grande doit être l’audace”. C’est pourquoi le premier critère est de considérer avec sérénité le mérite de l’action en fonction du but ultime de l’homme.

Il faut ensuite considérer tous les dangers et possibilités de l’action à entreprendre ; les aides sur lesquelles on peut compter et, par conséquent, la force totale disponible pour vaincre les difficultés. Les gens disposent généralement de moyens plus nombreux qu’il ne leur paraît, à condition qu’ils aient lutté pour se développer en accord avec des critères droits et vrais, parce qu’ils ont déjà des vertus humaines et des amis qui les aident à lutter. Ils peuvent surtout compter sur l’expérience de leur vie passée.

Le jeune qui vit en accord avec certaines valeurs et veut être audacieux, aura entrepris beaucoup de choses. Certaines avec succès, d’autres non. Il faut l’encourager dans ses tentatives, même si elles nous paraissent peu prudentes, à condition que tout danger important soit écarté. Il peut ainsi apprendre de ses propres erreurs et, ce qui plus est, découvrir ses possibilités réelles. En cela, il surprendra d’ailleurs ses propres parents.

Prétendre influer sur un groupe d’amis pour qu’ils se comportent mieux peut sembler imprudent, de même qu’expliquer à un professeur avec respect et délicatesse qu’il a agi injustement. Cependant, c’est le devoir de tous d’aider les autres à s’améliorer. Et cela, simplement à un niveau humain.

 

La vertu chrétienne 

Le chrétien fonde son audace sur l’espérance surnaturelle. Il sait que tout est pour son bien, même s’il ne le comprend pas. Il sait qu’il peut compter sur l’aide du Christ à travers les sacrements et la prière. Il sait qu’il peut compter sur l’aide de la Mère du Christ qui est aussi notre Mère. Le chrétien doit être disposé à courir les plus grands risques, en sachant qu’il dispose de l’aide continuelle de Dieu. “Dieu et audace ! L’audace n’est pas imprudence. L’audace n’est pas témérité” . Il est logique que cette façon d’agir, “pour celui qui ne vit pas de foi et d’espérance, est dépourvue de sens, de prudence et semble pure folie, mais elle est apparaît au chrétien avec la clarté et la certitude que lui procure le fait de vivre ces vertus théologales” .

 

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