L’humilité

 

“La personne humble reconnaît ses propres insuffisances, ses qualités et ses capacités, qu’elle exploite au service du bien, sans essayer d’attirer l’attention ni rechercher les applaudissements”.

 

La vertu de l’humilité nous aide à maîtriser l’appétit désordonné que nous avons de notre propre excellence, favorisant ainsi un climat propice pour vivre avec les autres. Cependant, notre description initiale parle de reconnaître nos propres insuffisances, qualités et capacités, et cela paraît contraire à la négation de soi. Il n’en est rien, car l’orgueil n’est pas le seul ennemi de l’humilité : il existe un autre vice qui suppose l’abdication de l’honneur et de la renommée propres. C’est pourquoi il est clair que, pour être humble, il faut être réaliste, et se connaître tel que l’on est. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons tirer profit de tout ce que nous possédons pour faire le bien.

Nous trouverons toujours des choses en nous qui nous déplaisent, des capacités que nous n’exploitons pas, des qualités que nous ne développons pas. La vérité, c’est que lorsque l’on commence à se pencher sérieusement sur soi, on se rend compte que l’on ne vaut rien. Dans ces conditions, il semblerait logique que l’on accepte la situation et que l’on essaie de lutter pour se dépasser, bien que certains se réfugient dans l’orgueil, mettant en valeur ce qu’ils ont, ce qu’ils font mieux que les autres, pour justifier leur présence sur terre.

C’est pourquoi la vertu de l’humilité retrouve son sens plénier quand la personne se voit par rapport à Dieu, car ainsi, ses insuffisances sont compensées par la grandeur d’être son enfant. “L’humilité, c’est de nous voir tels que nous sommes, sans palliatifs, en vérité. Et en comprenant que nous ne valons pas grand chose, nous nous ouvrons à la grandeur de Dieu : voilà notre grandeur”.

Selon Saint Thomas, la juste mesure de la réalité de l’homme ne peut être donnée par une comparaison avec d’autres hommes, mais plutôt avec Dieu. “Il en va de même avec l’orgueil, qui n’est pas d’abord une façon de s’exalter face aux autres mais une attitude devant Dieu. Cette condition de créature, inhérente à l’homme, est ce qu’affirme avant tout l’humilité et ce que, dans la pratique, l’orgueil nie et détruit”.

Il paraît évident, après ce que nous avons dit, que l’humilité est une vertu fondamentale pour le développement de la foi. Sainte Thérèse écrit : “L’humilité, c’est de marcher dans la vérité ; l’orgueil, c’est de marcher dans le mensonge”. L’humilité est une vertu que les parents peuvent développer chez leurs enfants pour plusieurs raisons. Ils peuvent essayer d’obtenir que les enfants “marchent dans la vérité” à un niveau exclusivement naturel, ou qu’ils cherchent inconsciemment la négation de l’enfant pour occulter le contraste existant entre sa valeur et la leur. Mais il s’agirait là d’un cas pathologique qui ne nous intéresse pas pour notre propos. L’humilité sert pour la vie naturelle et surnaturelle. “La vraie disposition pour la foi est la reconnaissance de tout ce qui a un caractère de droiture naturelle, d’amour de la vérité, d’ouverture à tout ce qui est noble, juste et beau et que l’on peut trouver chez l’homme. En d’autres termes, la disposition de l’homme pour la foi, dans l’ordre naturel, c’est l’humilité”.

De nombreux auteurs de spiritualité ont écrit sur le thème de l’humilité. Plusieurs d’entre eux distinguent des niveaux de développement dans cette vertu. Peut-être la description classique proposée par Saint Bernard peut-elle nous aider : “L’humilité suffisante est un type d’humilité ; autre est l’humilité abondante, autre encore l’humilité surabondante. L’humilité suffisante consiste à se soumettre à celui qui nous est supérieur et à ne pas s’imposer à celui qui est notre égal ; l’humilité abondante consiste à se soumettre à celui qui est notre égal et à ne pas s’imposer à celui qui nous est inférieur ; l’humilité surabondante consiste à se soumettre à celui qui nous est inférieur”.

En examinant ces différents niveaux d’humilité et en les rapprochant de la vie de famille et de l’éducation en général, nous pourrons arriver à une série de conséquences concernant l’éducation de cette vertu chez les enfants.

 

L’humilité suffisante

A ce niveau, l’homme se soumet à Dieu en reconnaissant sa supériorité et, en même temps, il obéit aux autorités compétentes dans tous les aspects de sa vie. En outre, il s’efforce d’accomplir son devoir fidèlement et, quand il y parvient, il évite le piège d’en tirer vanité.

Du point de vue pédagogique, il apparaît que ce niveau d’humilité est bien adapté aux plus jeunes. Il semble que l’humilité naturelle de l’enfant - il en sait moins, fait les choses plus maladroitement, sait en faire moins que les adultes - pourrait se traduire par une crainte de Dieu et une crainte de la vie en général. Or la crainte n’est pas une base adéquate pour le développement de l’amour. Dans le cas du petit enfant, il n’est pas nécessaire de souligner son infériorité due à un développement incomplet. Il s’agit plutôt de l’informer sur ce qu’il fait bien et sur ce qu’il fait mal, avec affection, pour qu’il arrive à se connaître avec objectivité et à s’accepter. Jusqu’à l’âge de sept ou huit ans, l’enfant reconnaît généralement la nécessité d’obéir aux personnes qui ont autorité sur lui, même s’il les teste pour voir jusqu’où il peut aller. L’humilité du petit enfant est quelque chose de très spontané. C’est pourquoi les parents doivent lutter contre la tendance qu’ils ont de développer l’orgueil de leurs enfants et, au contraire, encourager leur humilité authentique. Prenons quelques exemples. Lorsqu’un petit, sans regarder où il va, se cogne dans une table, certaines mères s’exclament : “oh! la vilaine table”. Cette attitude peut sembler inoffensive, mais une accumulation de détails similaires feront croire à l’enfant qu’il ne peut pas se tromper. L’enfant a besoin d’apprendre qu’il peut commettre des fautes et qu’il lui arrive de ne pas se soumettre aux règles du jeu. Lorsque cela arrive, il faudrait qu’il obéisse à la norme en vigueur, qui peut être de demander pardon. C’est un exercice d’humilité parce que l’enfant doit manifester explicitement qu’il n’a pas bien agi. L’humilité, pour lui, est alors d’apprendre à obéir et à rectifier en acceptant la compétence d’une autorité ou l’existence de règles du jeu.

Cela implique, pour les parents, qu’ils disent aux enfants quelles sont les règles et qui a autorité sur eux dans chaque cas ; qu’ils aident les enfants à reconnaître les faits tels qu’ils sont, en évitant de les féliciter lorsqu’ils ne font pas bien les choses, sans exagérer les compliments lorsqu’ils font leur devoir, afin de ne pas stimuler leur orgueil. L’enfant, quant à lui, devra se montrer simple, sincère, authentique.

 

L’humilité abondante

Ce deuxième niveau d’humilité se fonde sur la reconnaissance de la présence de Dieu en chaque personne, qui nous empêche de nous considérer supérieurs à qui que ce soit. Nous avons tous des qualités cachées et, par ailleurs, tout ce que nous sommes est un don de Dieu. Nous avons pour mission de nous efforcer de Lui rendre quelque chose de ce qu’Il nous a donné. Si l’on est convaincu de cela, on ne peut pas s’imposer à celui qui est inférieur, parce qu’on ne le considère pas comme tel.

Plus les années passent, plus l’on est susceptible de perdre son humilité et de devenir orgueilleux. Une multitude de formes d’orgueil subtiles et fréquentes guettent la personne dans ses rapports avec les autres. : “l’orgueil de préférer la propre excellence à celle du prochain, la vanité dans les conversations, dans les pensées et dans les gestes, une susceptibilité presque maladive, le fait de se sentir offensé par des paroles et des actes qui ne renferment absolument aucune offense” . Considérons quelques uns des obstacles que nous rencontrons le plus fréquemment dans notre lutte pour parvenir à ce niveau d’humilité.

 

1. L’autosuffisance

Elle résulte en général du fait que l’on croit en ses propres capacités de façon irraisonnée, comme un guide certain pour diriger sa propre vie. C’est le désir de se délier de toute aide pour ne pas avoir à accepter sa propre insuffisance. C’est, en quelque sorte, la conséquence de la divinisation du propre intellect. Le résultat manifeste de l’autosuffisance est que la personne ne sait parler que d’elle-même. La seule chose qui l’intéresse vraiment dans la vie, c’est elle-même. Lorsqu’elle écoute les autres, c’est encore pour pouvoir ensuite continuer de parler de sa propre excellence. Et, si elle n’est pas manifeste dans la façon de parler, l’autosuffisance se remarque dans bien d’autres manières de se comporter, notamment dans le fait de ne jamais demander aucune aide, aucun conseil, de penser qu’on en a nul besoin. On finit par lire n’importe quoi, par vivre n’importe quelle expérience, et tirer orgueil de la quantité de savoir que l’on a accumulé - même s’il est inutile. Comme le dit Cowper : “Le savoir tire son orgueil d’avoir tout appris, la sagesse tire son humilité de ne pas en savoir plus”.

De toutes façons, ce problème survient à l’adolescence, lorsque les jeunes recherchent une plus grande indépendance. On peut de temps en temps faire ressortir l’incapacité de l’enfant à émettre une critique raisonnable de différents points de vue sur un même sujet. Mais ce type d’exercices sera vain si l’enfant n’a pas déjà une idée des critères qui devraient gouverner sa vie. S’il reconnaît des critères et des valeurs morales, on peut alors lui montrer que telle ou telle action s’accorde ou non avec eux. Dans le cas contraire, il ne pourra juger de la valeur d’aucune action. C’est pourquoi il faut souligner une fois de plus l’importance de la mission qu’ont les parents de proposer à leurs enfants quelques valeurs, qui leur donnent des points de repère pour agir. Il est certain que, si l’enfant a appris et assimilé le fait que Dieu est la Vérité, il pourra être humble. S’il le refuse, l’humilité ne fera que lui fournir de meilleures chances de parvenir à ses fins dans la vie.

Nous, parents, devons soutenir la lutte de nos enfants pour maîtriser leurs passions naturelles, en leur montrant notre affection inconditionnelle pour qu’ils apprennent à moins se vanter de leurs exploits, à accepter l’ingratitude des autres, à s’oublier pour se donner généreusement au service des autres par amour de Dieu.

 

2. Avec les autres

Bien qu’il n’y ait pas de distinction très claire entre les problèmes liés au monde intérieur de la personne et ceux qui touchent à ses relations avec les autres, nous avons souligné comment l’humilité se manifeste dans la vie personnelle et dans la vie avec les autres. La question qui se pose est maintenant la suivante : comment aider nos enfants à être humbles dans leurs rapports avec autrui, notamment avec leurs camarades ?

Au niveau d’humilité où nous sommes, il s’agit de ne se considérer supérieur à personne. Cela signifie que l’on arrive à reconnaître les qualités, peut-être cachées, que chacun possède. Ce qui suppose que tout le monde a des qualités dignes d’être appréciées. Cependant, il est possible que l’enfant n’attache aucune valeur à ces qualités. Il est possible que, par exemple, quelqu’un n’apprécie pas la musique. Il ne donnera donc aucune valeur au fait que l’un de ses camarades soit un excellent musicien. En revanche, étant lui-même sportif, il appréciera les capacités sportives des autres. S’il est un bon sportif, son attitude vis-à-vis du camarade musicien peut être méprisante, parce qu’il n’admet pas la valeur de ce talent. Ainsi, l’acceptation des autres ne vient qu’après avoir saisi l’intérêt de ce qu’ils sont en train de vivre. Il s’agit par conséquent d’aider les enfants à admirer chez les autres leurs dons naturels et surnaturels. L’attitude négative et sectaire que nous avons décrite est en fait très commune. L’orgueil provoque le désir d’être plus important, ou meilleur en quelque chose, par rapport aux autres. Un médecin qui, dans les dîners, ne parle que de médecine, montre par là, peut-être sans le vouloir, que les autres sujets ne l’intéressent pas : il les méprise à cause de l’intérêt de ses propres connaissances.

Les enfants doivent apprendre à s’intéresser aux autres, parce que les autres sont intéressants. S’intéresser aux autres signifie les interroger sur leurs centres d’intérêts et leur montrer avec délicatesse que nous aussi, nous avons le droit d’être écoutés. Certains ne font même pas l’effort de parler parce qu’ils pensent que les autres ne sont pas de leur niveau ; ou bien ils n’acceptent ni opinions ni suggestions sur le sujet traité car ils se considèrent experts en la matière.

Au fond, la personne humble dans ses relations avec les autres est celle qui sait qu’elle peut apprendre d’eux. Elle cherche leurs qualités et oublie leurs défauts.

Mais essayons d’être plus précis afin de constituer un éventail de situations pouvant présenter une tendance à l’orgueil et, en même temps offrir autant d’occasions d’apprendre l’humilité : 

1) posséder, ou vouloir posséder des objets : argent, jouets, matériel, instruments de travail, vêtements, bijoux, surtout ceux que les camarades n’ont pas ;

2) posséder ou vouloir posséder des qualités ou des capacités - savoir lire, calculer, s’exprimer, pratiquer un sport - que les autres n’ont pas ou peuvent avoir à un degré inférieur ;

3) avoir fait ou désirer avoir fait des choses que les autres n’ont pas faites  

4) être ou vouloir être le premier arrivé, le “meilleur” ou le “plus grand”.

 

Pour être humble dans toutes les circonstances, on peut compter sur l’aide d’autres vertus très liées. Concrètement, la modestie, la mansuétude, l’assiduité au travail, la sobriété, la souplesse. Toutes ces vertus dérivent d’un comportement conforme à des critères droits et vrais. Et les parents ont la mission d’aider leurs enfants à intérioriser ces règles qui leur permettront de bien agir. Avec les plus jeunes, on prendra soin de ne pas favoriser leur orgueil en faisant beaucoup de bruit autour de leurs prouesses, en les comparant avec d’autres enfants, en les encourageant à rechercher le succès plutôt que la façon de servir les autres sans réclamer des félicitations. La modestie contrôle la tendance à attirer l’attention dans l’habillement et les autres expressions sensibles de la personnalité : gestes, postures et autres. Si les parents habillent leurs enfants en les encourageant à l’affectation, ils les éloignent de l’humilité. La mansuétude suscite l’obéissance et évite la colère incontrôlée, qui a pour fin d’attirer l’attention sur leur force. L’assiduité au travail contrôle la tendance de l’appétit de tout connaître par curiosité. Les parents ont vraiment intérêt à se demander s’ils préfèrent que leurs enfants recherchent l’éclat du succès publique ou s’ils pensent que ceux-ci doivent travailler sans faire de bruit mais avec efficacité, en fonction de leurs possibilités réelles.

Par ailleurs, l’humilité doit être compatible avec un travail bien fait (un travail réussi ou qui mène à la réussite) ainsi qu’avec la capacité de bien s’entendre avec les autres - ce qui signifie que les autres vous acceptent et cela peut conduire à un manque d’humilité. Ici, le seul guide est la droiture d’intention. En évitant au maximum ce qui est bruyant, peu commun.  En employant les moyens ordinaires sans exagération et en rectifiant l’intention dès que s’introduit la moindre déviation. Je voudrais ajouter un dernier mot sur les enfants qui n’ont pas l’habitude d’échouer parce qu’ils sont intelligents, bons élèves, bons camarades, bons sportifs, etc. Il est important que chacun ait la possibilité de bien faire et de savoir qu’il a bien fait. Mais il faut aussi apprendre à perdre, à reconnaître que l’on n’agit pas toujours bien, que l’on n’est pas indispensable, que nos dons sont ce que Dieu a voulu qu’ils soient. Il faudrait faire en sorte que ces enfants-là subissent de petits échecs et, bien entendu, être exigeants envers eux à la mesure de leurs possibilités. On ne peut atteindre le troisième niveau d’humilité qu’une fois reconnues nos propres insuffisances.

 

L’humilité surabondante 

“L’humilité atteint sa perfection chez les hommes qui se considèrent pires que les autres. Tous les saints se sont considérés comme de grands pécheurs. Cette attitude trouve son fondement objectif dans la puissance de la grâce de Dieu sans laquelle, d’une part, personne ne pourrait agir en toute droiture et, d’autre part, tous les hommes seraient exposés à commettre les pires péchés”. Dans l’Ecriture Sainte, nous trouvons de nombreux exemples d’humilité dans la façon d’agir de Jésus-Christ et, à la lumière de cet enseignement, les saints nous expliquent ce que signifie l’humilité pour les pécheurs que nous sommes. Saint Paul nous dit : “Très volontiers donc je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que la force du Christ repose sur moi. C’est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour la cause du Christ : quand je suis faible, c’est alors que je suis fort”. L’homme vraiment humble ne peut l’être que par amour de Dieu. Autrement, cela n’aurait pas beaucoup de sens. Se soumettre à la volonté de Dieu, Le remercier continuellement de sa bonté, dépendre de Lui avec confiance, contribue à la reconnaissance de notre misère personnelle, tout en saisissant la grandeur d’être enfant de Dieu.

En cette vie, le chrétien a besoin de foi et d’humilité. L’humilité est l’investissement nécessaire de l’homme pour développer une vie surnaturelle fondée sur la foi.

 

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