La simplicité

 

“La personne simple fait en sorte que son comportement habituel - façon de parler, de s’habiller, d’agir - soit conforme à ses intentions véritables, de telle manière que les autres puissent la connaître telle qu’elle est ; elle est ce qu’elle paraît”.

 

La vertu de simplicité est signe d’authenticité. Est authentique celui qui possède une certaine valeur humaine. Autrement dit, la simplicité requiert un esprit clair et une volonté droite.

D’un point de vue plus pratique, on comprend mieux ce qu’est la simplicité en la comparant à certains vices qui lui sont directement opposés. La personne peut intérieurement perdre de vue sa fin véritable, de telle sorte que ses pensées et ses désirs se compliquent. Il est possible aussi que, tout en reconnaissant parfaitement la finalité de sa propre vie, elle s’exprime avec duplicité, et ce pour plusieurs raisons. Elle peut s’exprimer d’une façon compliquée ou prêtant à confusion dans sa manière d’agir, de parler, de s’habiller, en étant pédant, sarcastique ou hypocrite. Ce sont là des vices contraires à la vertu de simplicité, mais il existe aussi un vice dû à une simplicité excessive : la naïveté. Le juste milieu, c’est d’être franc et transparent vis-à-vis des autres et vis-à-vis de Dieu.

Nous sommes en train de parler d’une vertu qui touche de près au développement de l’intimité de la personne. Et pas seulement à son intimité mais également à la conformité de ses actes avec le fond son coeur. On parle de simplicité par opposition à la duplicité, qui consiste à avoir une chose dans le coeur et à en extérioriser une autre. Il ressort de tout cela que cette vertu est étroitement liée aux vertus de l’humilité et de la sincérité.

 

Se laisser connaître

La vertu de simplicité permet de se faire connaître tels que nous sommes, en profondeur. Mais n’y a-t-il pas danger de manque de pudeur et de réserve si la simplicité dévoile à ce point notre intimité ? La simplicité suppose que l’on ait réfléchi sur que l’on veut manifester. La prudence nous indique s’il convient ou non de livrer les divers aspects de notre intimité. La simplicité nous aide à agir conformément à nos intentions profondes. Je me réfère aux intentions personnelles, pas à celles qui sont imposées par des règles ou des coutumes étrangères aux convictions propres.

Cette vertu trouve donc tout son sens dans les rapports avec Dieu, avec la famille et avec les amis, parce qu’ils touchent à l’intimité de la personne. Non pas que la simplicité dans les rapports avec les autres soit superflue, mais leur qualité dépend de la simplicité. En d’autres termes, je peux avoir des relations professionnelles avec un homme d’affaires, qui soient empreintes d’une certaine duplicité, et obtenir de bons résultats - pour moi et peut-être même pour l’autre. Cependant, si je ne suis pas simple avec un ami, l’amitié disparait ipso facto, parce que la relation n’existe que par des règles formelles qui permettent une entente apparente.

Il faut se faire connaître pour aider les autres à s’améliorer et pour pouvoir s’améliorer personnellement. Si le progrès recherché ne concerne pas l’intimité de la personne, la simplicité est secondaire. Un professeur peut apprendre à un jeune à conduire sans devoir recourir à des aspects de son intimité. Cependant, dans toute relation, même si, au départ, on ne prétend par arriver à un certain degré d’intimité, il est toujours possible, dans une certaine mesure, de se faire connaître pour essayer de partager ce que l’on considère important dans la vie : le bonheur, la joie, le travail bien fait, la sérénité, etc.

 

La simplicité des enfants

Bien des enfants ont la grâce de savoir agir avec un naturel propre à susciter une réaction ouverte et simple de la part des autres. Ils disent tout ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent, ce qui est bien, même s’il faut leur apprendre par la suite quels sont les moments opportuns pour s’exprimer et sur quels sujets le faire. Le problème de l’éducateur est de savoir comment aider le jeune à rester simple sans abuser de la spontanéité et, en même temps, à manifester ses intentions profondes sans les ternir par la duplicité de leur expression. Nous allons insister sur l’apprentissage de la découverte de l’intimité et de sa juste appréciation.

Si l’on examine le comportement d’enfants d’âges différents, on verra qu’il arrive un moment où certaines de leurs façons de faire cessent d’être drôles - leur naturel ne justifie plus leur existence. Les éducateurs se trouvent alors obligés de reprendre l’enfant jusqu’à ce qu’ils obtiennent un comportement acceptable par les autres. C’est le cas de l’enfant qui entre tout nu au salon ou éructe en public. Il arrive un moment où, dans les deux cas, la chose cesse d’être drôle et doit être corrigée. Il en est ainsi parce que personne ne peut saisir les valeurs par lui-même. On a besoin d’aide pour reconnaître quelle est la manière correcte de se comporter en fonction de valeurs objectives. Concrètement, le fait de corriger les bruits que l’on fait en mangeant peut être considéré comme peu naturel. Cependant, cela permet de manger de façon efficace et esthétiquement satisfaisante. Faire les choses avec simplicité ne signifie pas les faire spontanément, si cette spontanéité s’oppose à la vérité, à la beauté, à la bonté ou à l’ordre. Pour acquérir la vertu de simplicité, on a besoin d’utiliser son intelligence et sa volonté de façon droite.

Nous pouvons tirer quelques conséquence de ce qui précède pour l’éducation des petits enfants. D’une part, ils doivent se comporter le plus naturellement possible en fonction de valeurs objectives. D’autre part, ils doivent apprendre à conformer leurs actes à ce qu’ils savent être bien.

 

L’expérience du naturel

Lorsque l’on réfléchit sur l’éducation, on peut avoir l’impression qu’elle consiste en une série de méthodes artificielle visant à obtenir de l’enfant un niveau pré-établi d’amélioration. Il ne faut pourtant pas oublier l’influence profonde exercée par l’expérience de situations les plus diverses, à partir desquelles l’enfant intériorise tout un ensemble de valeurs. Parfois, l’expérience elle-même lui enseigne où se trouve la norme ; parfois, il peut se conformer à celle-ci, et découvrir plus tard sa véritable valeur. Les deux voies sont complémentaires.

Dès son plus jeune âge, l’enfant peut saisir la valeur de la beauté en vivant au milieu de beaux objets ; il voit des couleurs, des formes, etc. Il peut également arriver à reconnaître des sons harmonieux : le vent, le chant des oiseaux ou la musique produite par l’homme, simple comme le chant de sa mère, ou plus élaborée comme dans une oeuvre de grand musicien. Il peut saisir la valeur de l’ordre en le vivant à la maison ou en participant à une activité organisée. Et ainsi de suite. A travers ce type d’expériences, l’enfant éprouve différents sentiments qu’il ne reconnaît pas objectivement, mais il les vit subjectivement. Comme, par exemple, un sentiment de sécurité, en sachant qu’il est aimé, que chaque chose est à sa place, que lui-même est important, que les autres comptent sur lui. A travers cette expérience, il va s’ouvrir davantage aux diverses influences et s’imprégner de choses qui valent la peine d’être partagées avec les autres. Cette attitude lui servira également pour sa vie de foi. “Le naturel et la simplicité sont deux vertus humaines merveilleuses qui rendent l’homme capable de recevoir le message du Christ. En revanche, tout ce qui est embrouillé, compliqué, les tours et les détours autour de soi-même, constituent un mur qui empêche souvent d’entendre la voix du Seigneur”.

De ces expériences résulte, avons-nous dit, une meilleure compréhension de ce qui a de la valeur. Et cependant, ce n’est pas l’unique façon de saisir ce qui est naturel. Les règles du jeu dans les divers aspects de la vie, les modes de comportement vis-à-vis des autres, les règles de composition d’un tableau et de mélange des couleurs, les normes d’exécution de différentes tâches, tout cela peut paraître peu naturel.

Mais si ces normes sont compatibles avec une approche de la vie comportant certaines valeurs, on est sûr, en s’y conformant fidèlement, de découvrir le sens de ces valeurs.

D’après ce que nous avons dit, il est clair que la mission fondamentale des éducateurs des plus jeunes est de leur présenter des situations où ils puissent saisir ce qui est authentique et y répondre. Cela peut se faire en réagissant à une expérience personnelle ou en se conformant à des règles pré-établies. Mais ces deux voies peuvent aussi nous faire découvrir les dangers que le processus représente.

Si les intentions profondes des jeunes sont fondées sur l’expérience de contre-valeurs ou de pauvres valeurs, la simplicité n’aura pour eux aucun sens. Et même si les normes reçues se réfèrent à des aspects secondaires de la vie, le danger est qu’ils intériorisent quelque chose qui les mène à une vie stérile de superficialité.

 

La simplicité à l’adolescence

Nous ne voulons faire de division artificielle en fonction de l’âge des enfants. Mais nous allons centrer notre attention sur les enfants qui ont pris conscience de leur propre intimité. Notre réflexion se portera sur les problèmes pouvant surgir lorsque des aspects intérieurs de la personne commencent à se révéler, et que le jeune, utilisant davantage son intelligence et sa volonté, peut agir avec simplicité parce qu’il considère bien de le faire, plus que par une spontanéité liée à l’expérience positive dirigée par les éducateurs. Evidemment, il ne s’agit pas d’un passage rigide d’une étape à l’autre. C’est dès le plus jeune âge qu’il faudra montrer à l’enfant les manières d’être simple et lui expliquer les raisons pour l’être, mais c’est à l’adolescence que peuvent surgir les principales difficultés.

La simplicité est question de se laisser connaître, de parvenir à une continuité entre ce que l’on a en nous et notre comportement habituel, notre façon de parler, de nous habiller, et tout le reste. Cette vertu est étroitement liée à la véracité, qui incite les personnes à toujours dire la vérité, ainsi qu’à la fidélité, qui pousse la volonté à tenir ses promesses en faisant ce que l’on s’est engagé à faire.

Nous pouvons nous demander : Pour quelles raisons peut-on en arriver à extérioriser quelque chose de contraire à nos véritables intentions ? Chez les adolescents, les raisons - en partie dues à un sentiment d’insécurité - sont les suivantes :

- vouloir être comme quelqu’un d’autre et essayer de l’imiter, en oubliant ses propres convictions ;

- considérer la façon de s’exprimer comme une fin en soi et donc, s’exprimer dans un style déterminé sans se préoccuper de communiquer quelque chose d’authentique ;

- se considérer supérieur, inférieur ou simplement différent de ce que l’on est, et se comporter en accord avec cette image faussée ;

- vivre continuellement dans des ambiances superficielles où l’on a peu de chances d’exprimer ce que l’on est à cause des barrières imposées par le style de vie des autres ;

- vouloir cacher ses propres intentions.

 

Nous allons considérer ces problèmes mais, auparavant, il serait utile de réfléchir sur les raisons qui nous poussent à acquérir la vertu de la simplicité.

 

Si la personne s’efforce d’être simple, elle restera ouverte aux valeurs permanentes qui lui permettront d’améliorer sa vie. Elle n’essayera pas de se dérober ni de trouver des excuses pour ne pas accepter son être véritable. Ainsi, elle deviendra intègre et noble, et augmentera son efficacité en étant fidèle à sa propre nature.

Deuxièmement, elle pourra établir des relations empreintes de simplicité avec les autres, d’où peut naître l’amitié dont tout homme a besoin. Cette simplicité facilite également l’entente entre époux et entre parents et enfants, car elle permet à chacun d’exprimer ce qu’il a d’unique : son intimité. Et, comme nous l’avons dit, elle pose les fondations permettant de recevoir Dieu dans son coeur.

Enfin, l’une des raisons de cultiver la simplicité est d’éviter le ridicule. Celui qui prétend être ce qu’il n’est pas devient bizarre et extravagant et peut prêter à rire.

 

Les obstacles à la simplicité

Ici, nous allons considérer la façon dont la simplicité s’exerce à travers l’expression orale, l’habillement et le comportement en général.

L’imitation aveugle d’une autre personne ou d’une certaine manière de faire les choses peut être corrigée en aidant le jeune à réfléchir. Il faudra lui montrer qu’il est en train de manquer d’authenticité - qualité normalement reconnue par les jeunes - et l’aider à rectifier son comportement. Evidemment, si le problème de fond réside dans son désir de cacher ses propres intentions parce que, consciemment, il cherche à obtenir certains résultats par une tactique préméditée, nous nous trouvons dans une situation viciée par l’astuce et difficile à résoudre. Mais c’est toujours le cas lorsqu’on ne peut compter sur la bonne volonté d’un jeune. Nous nous limiterons ici aux adolescents qui, tout en commettant des erreurs comme tout le monde, gardent une attitude fondamentalement positive. En ce qui concerne l’aide à la réflexion des jeunes, il existe une série de situations typiques qu’il serait intéressant d’examiner pour pouvoir affiner l’information que nous leur donnons et pour être sûrs que nous-mêmes n’agissons pas avec duplicité.

 - En ce qui concerne l’habillement : vouloir paraître plus riche, plus pauvre, plus jeune, plus vieux ou, simplement, différent. C’est le cas de celui qui, sachant que, dans une soirée, tous vont porter une cravate, s’habille de la façon la moins conventionnelle possible. Il est clair que je ne me réfère pas à des excès qui tendraient à dénaturer le moi profond de la personne. 

- En ce qui concerne l’expression orale : vouloir paraître plus intelligent par l’usage d’un vocabulaire recherché ; faire croire que l’on ne possède pas des qualités qui sont évidentes ; citer de nombreux auteurs que l’on n’a pas lus afin de paraître plus érudit ; s’efforcer de paraître plus riche ou plus docte par le ton de la voix et les “expériences” que l’on raconte ; faire semblant d’être scandalisé ; s’attribuer des qualités que l’on ne possède pas. 

- En ce qui concerne le comportement général : essayer de passer pour ce que l’on n’est pas : simuler la personne accablée de travail quand ce n’est pas le cas, organiser une vie compliquée afin de ne pas avoir le temps pour l’essentiel ; avoir tout lu, tout vu, tout écouté sous prétexte d’être à la page, au lieu d’approfondir ce qu’il y a de plus important ; perdre son temps, gaspiller son argent, son énergie, par caprice, pour faire bien, etc.

 

Nous devons en outre considérer un domaine où il peut y avoir manque de simplicité, bien qu’il ne soit pas facile de le saisir de l’extérieur. Il s’agit du monde des pensées. La vie intime peut être marquée de toute une série de scrupules qui obscurcissent l’essentiel de la vie. Les parents, dans la mesure du possible, doivent aider les enfants à distinguer ce qui est important de ce qui est secondaire, de telle sorte que leur comportement vis-à-vis des autres reste simple. A cet égard, il faut savoir qu’une personne peut fort bien agir de façon faussement simple avec les autres, utilisant cette tactique pour dissimuler ses problèmes internes.

Enfin, nous allons considérer la vie sociale elle-même comme l’une des causes de manque de simplicité. Les relations avec autrui peuvent s’approfondir lorsque le désir de connaître et de se faire connaître avec prudence naît d’un intérêt mutuel existant. Elles peuvent aussi rester à un niveau superficiel, où l’on parle et l’on écoute en simulant l’intérêt ou la préoccupation pour l’autre. C’est ce qui peut arriver lorsque l’on accomplit son devoir social comme une obligation stérile, ou lorsque l’on considère les autres comme des sujets dépourvus des droits que leur confère leur dignité de personnes humaines.

On peut se demander jusqu’à quel point  il est possible de simuler un intérêt en vue d’approfondir ensuite les relations. Logiquement, il s’agit de trouver un équilibre entre la tactique qui consiste à s’intéresser à une chose dont on ne se soucie guère, et le désir légitime de s’intéresser à la personne de l’autre et donc à ce qui l’intéresse. Ce désir nous incite à introduire dans notre vie et dans nos pensées des sujets que nous n’aurions jamais abordés par goût personnel, et à les faire nôtres pour pouvoir communiquer avec l’autre. De cette façon, l’effort devient naturel.

 

Les manifestations de la simplicité 

Celles-ci vont différer selon les intentions de la personne. Si elle poursuit des objectifs tels que devenir meilleur enfant de Dieu, meilleur fils, meilleur père, meilleur époux, meilleur ami, meilleur collègue, meilleur employé, ou aider les autres à prendre ce chemin, on remarquera son naturel dans son comportement habituel. Il est possible que sa simplicité se remarque dans sa délicatesse avec les autres, dans l’expression évidente de sa joie à la rencontre d’une connaissance, dans la patience dont elle fait montre au milieu d’une situation difficile, dans sa façon de chercher en tout le positif, dans sa tendance à fuir toute discussion recherchée, dans sa façon de savoir agir et disparaître, dans son compliment cordial sans exagération, dans sa reconnaissance manifestée avec enthousiasme, dans le fait de savoir rectifier, dans son élégance vestimentaire, dans ses rapports confiants et respectueux avec Dieu.

C’est pourquoi la simplicité n’est pas une vertu dont le champ d’action est limité. Elle s’applique à toutes les autres vertus qu’elle rend très attrayantes et authentiques.

Les parents devraient observer leurs enfants pour noter dans quels aspects ils doivent améliorer leur simplicité. Ou est le problème pour chacun d’entre eux ? Peut-être dans sa capacité de s’exprimer par oral ou par écrit, dans ses relations avec les autres ou dans son for intérieur ?

Pour pouvoir s’occuper de leurs enfants, les parents aussi doivent être simples, notamment dans l’expression de leur confiance et de leur affection. Il ne suffit pas de faire confiance aux enfants et de les aimer. Il faut savoir manifester ces sentiments. La simplicité permettra aux parents d’agir selon leur coeur et, s’ils sont chrétiens, ils trouveront une source d’inspiration continuelle dans la Sainte Famille.

 

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