INTRODUCTION :
LEDUCATION DES VERTUS HUMAINES CHEZ LES ENFANTS
Précision terminologique
Pour débuter, il nous semble important de préciser le sens des termes que nous allons employer. Le sujet des vertus est complexe, car on peut aussi bien parler de vertus théologales, de vertus cardinales, mais sans savoir ce qui les distingue les unes des autres. Nous traiterons seulement ici de deux ou trois aspects de ce vaste sujet.
Il existe trois vertus théologales - foi, espérance et charité -. Daprès Saint Thomas, on peut les considérer comme de bonnes habitudes, infusées par Dieu dans les puissances de lâme pour les préparer à oeuvrer selon la raison illuminée par la foi. Elles ont pour objet Dieu lui-même. On parle de vertus infuses, reçues directement par Dieu. Cependant, il existe un autre type de vertus également infuses : les vertus morales surnaturelles. Elles nont pas pour objet direct Dieu lui-même, mais ordonnent droitement les actes humains vers leur fin ultime qui est surnaturelle. Les vertus morales naturelles sont acquises. Lhomme peut en effet sefforcer de les cultiver au maximum. La vertu acquise diffère de la vertu infuse dans la mesure où cette dernière est ordonnée à la fin ultime surnaturelle tandis que la première améliore la personne au niveau naturel.
Nous limiterons notre propos aux vertus acquises, qui sont des vertus morales naturelles ou humaines. Quatre dentre elles sont appelées vertus cardinales - prudence, justice, force et tempérance - car toutes les autres y sont rattachées : soit parce quelles sont nécessaires au bon développement dune vertu cardinale, soit parce quelles sont dun type différent mais subordonnées à une vertu cardinale, soit parce quelles leurs sont annexes.
On peut remarquer que, jusquici, nous navons pas évoqué le terme de vertu sociale. Au sens strict, une telle vertu nexiste pas. Ladjectif est utilisé pour souligner le rôle que jouent certaines vertus dans le service des autres et de la société. Personnellement, je crois quétablir une distinction entre individu et société peut prêter à confusion car la société nexiste quen fonction des personnes qui la constituent et la personne est un être social ayant besoin des autres. Cest pourquoi nous préférons qualifier toutes les vertus de sociales, même si lune ou lautre dentre elles a une connotation plus sociale. Ainsi nous parlerons dun ensemble de vertus qui aide chaque personne à être plus maîtresse delle-même pour mieux servir les autres.
Il me semble que tous les parents aimeraient voir leurs enfants ordonnés, généreux, sincères, responsables, loyaux, mais la différence est grande entre le désir confus qui se reflète dans lexpression Ah si seulement... et un résultat désiré, prévu et, au moins en partie, accessible (définition dun objectif). Pour que léducation des vertus humaines chez les enfants soit effective, elle doit supposer une intention délibérée des parents, qui doivent donc être convaincus de leur importance.
Pourquoi faut-il sintéresser aux vertus ?
Nous avons dit, dans le prologue, que la famille est une organisation naturelle dont les relations touchent au plus profond de chaque personne : son intimité.
Cest précisément pourquoi, dans la famille, la personne est acceptée telle quelle est, plus pour ce quelle est que pour ce quelle fait. Dans les autres structures de la société, nous remarquons que les personnes sont acceptées daprès la manière dont elles remplissent leur fonction. Par exemple, le joueur de football est accepté sil met des buts, et rejeté dès quil nen met plus. A lécole, en principe, lélève est accepté dans la mesure où il étudie, rejeté sil ne le fait pas. Dans la famille, au contraire, chaque membre est accepté pour ce quil est et ce quil a dunique. Létablissement scolaire nest pas une organisation naturelle mais culturelle et, à travers la culture, il soutient les parents dans la formation des élèves. Cependant les parents, en tant que premiers éducateurs de leurs enfants, et vivant avec eux au sein de linstitution naturelle quest la famille, doivent cultiver, dans léducation, ce qui lui est propre. Il sagit concrètement de développer les bonnes habitudes que sont les vertus humaines. Il ne serait pas normal de déléguer cette fonction à létablissement scolaire.
Cela constitue une raison importante pour se dédier intentionnellement au développement des vertus humaines, propre à la famille. Mais il faut aussi reconnaître que la maturité humaine - laquelle se manifeste surtout dans une certaine stabilité desprit, dans la capacité de prendre des décisions pondérées et dans une façon droite de juger les événements et les hommes - au niveau naturel, découle du développement harmonieux des vertus humaines. Pour être encore plus précis, l idéal - qui nest pas réaliste - serait que les enfants arrivent à lécole avec toutes les vertus si bien développées quil suffirait simplement de les aider à intérioriser la culture. Comme nous sommes loin de la réalité, lécole se contente de compléter le travail des parents, qui reste primordial.
Dautre part, ayant parlé dobjectifs, ce livre peut paraître très technique. Il nen est rien. Les objectifs ne supposent pas tant une formulation écrite ou une planification dactivités, que la volonté de sefforcer à les atteindre. Si cette volonté fait défaut, lobjectif cesse automatiquement den être un pour rejoindre le domaine du rêve. Il sera parfois utile de formuler un objectif par écrit ou de planifier des activités en vue dobtenir certains résultats, mais lessentiel est dans la volonté que lon met à atteindre les objectifs fixés.
Retenons que, pour éduquer les enfants aux vertus humaines, les parents vont plus volontiers profiter du quotidien vécu en famille que planifier des activités. Mais pour renforcer laspect intentionnel de cette éducation, ils peuvent réfléchir sur deux aspects constitutifs de la vertu : lintensité avec laquelle on la vit et la droiture dintention quon y met.
Comment augmenter laspect intentionnel
Si lon se penche sur une bonne habitude, on remarque quelle peut être vécue avec plus ou moins dintensité. On peut, par exemple, vivre la générosité uniquement avec les amis, ou avec les gens qui ont davantage besoin dattention. On peut agir avec générosité seulement lorsquon est en pleine forme, ou également lorsquon est fatigué. Si nous, parents, nous rendons compte des possibilités de chaque vertu, il sera sans nul doute plus facile dagir conformément à ce que nous voulons. Et il ne sagit pas seulement de lintensité avec laquelle les enfants vivent les vertus, mais également de la droiture dintention qui les font agir ainsi. Un exemple peut nous aider : deux jeunes remettent vingt euros à un camarade. Le premier le fait en sachant que le père de son ami est malade et que sa famille a besoin dargent pour manger ; lautre pour éviter les coups que son camarade lui a promis sil ne le fait pas. La différence de motivation rend lacte totalement différent. Les parents devraient aussi réfléchir à une classification en fonction de lâge de lenfant.
Si les parents ont une idée précise de ce que signifie chacune des vertus quils souhaitent voir se développer chez leurs enfants, il sera plus facile pour eux de sy appliquer. Cest pourquoi nous donnerons, plus loin, la définition dun certain nombre de vertus.
On peut également augmenter laspect intentionnel en reconnaissant les moyens dont on dispose pour aider son enfant. On connaît la valeur de lexemple dans léducation. On a même dit que léducation se fait plus par ce que lon est que par ce que lon fait, bien que cela me semble parfaitement inexact. Je pense que nous éduquons par la relation intrinsèque entre être et faire. Cest pourquoi lexemple qui éduque nest pas nécessairement un exemple de perfection à linverse de celui de la personne qui lutte pour se dépasser, cest-à-dire pour être plus et mieux ce quelle est. Cette lutte sur soi suppose dexiger de sa volonté et déclairer son intelligence. Cest dans ces deux axes quil sagit déduquer les enfants.
On acquiert une bonne habitude par une répétition dactes, qui implique nécessairement un certain type dexigences. Les parents peuvent exiger de leurs enfants quils fassent certaines choses exigences positives ou quils ne les fassent pas exigences préventives. Ce dernier type dexigences consiste soit à éviter un danger inutile à lenfant, soit à lempêcher de développer une mauvaise habitude.
Il semble logique que des exigences positives soient nécessaires pour développer certaines vertus, notamment lordre et la persévérance. On peut exiger dans le domaine de laction, mais également dans celui de la pensée, ce qui est nécessaire à toute bonne orientation. Celui qui a pour charge dorienter reçoit des informations quil transmet à différentes personnes. Ce faisant, il exige une réflexion de la part des intéressés et les soutient ensuite avec affection. Cette façon dexiger en donnant des explications, en demandant le pourquoi, en approfondissant les motifs semble plus évidente pour dautres vertus, telles que la loyauté.
Deux problèmes
A force de parler dexigences, on peut redouter certains dangers, notamment celui de détruire toute spontanéité et toute créativité chez lenfant. En un mot, nous nen faisons pas un être libre. Un autre problème serait que ces habitudes finissent par se réduire à une pure routine sans signification.
En ce qui concerne la liberté, lexplication est très simple. Lune des composantes de la liberté est la capacité de choisir entre plusieurs possibilités. Imaginons quil sagisse de choisir entre jouer au tennis et ne pas y jouer. Si la personne sait y jouer, il existe la possibilité de choisir. Si elle ne sait pas jouer, elle nest pas libre de choisir. Cela peut être transposé dans le domaine de la vertu. A seize ans, un jeune veut être généreux, sans avoir appris à lêtre. Que va-t-il se passer ? Il ne le sera pas car il na pas le choix. On ne peut acquérir une habitude en un instant, car cest la répétition même de lacte qui permet de parler dhabitude.
En ce qui concerne la routine, on comprend par ce terme la réalisation dune activité sans signification. La routine apparaît inévitablement si nous considérons la vertu comme une fin en soi et non comme un moyen pour atteindre le Bien. Par exemple, lordre pour lordre na pas de sens : le but est dobtenir un climat de paix ou une réelle efficacité. Or, certains actes, de par le niveau de développement de la vertu et lâge de lenfant, vont être ordonnés à une fin déterminée. Le jeune enfant, en effet, cultive la persévérance en attachant ses lacets. La finalité est claire pour lenfant. Tandis que les adultes attachent leurs lacets machinalement, en pensant à autre chose. Nous nallons pas en déduire que cet acte assurément routinier perd tout son sens. En loccurrence, grâce à lacquisition dune aptitude, il devient possible de porter ses efforts sur des choses plus importantes, ou mieux adaptées aux capacités de la personne. En un mot, lon doit profiter de son acquis pour continuer de saméliorer.
Vertus, âges et motivations
Deux vertus sous-tendent toutes les autres. Je veux parler de la prudence et de la force. Sans elles, pas de vertu possible. Choisir le bien constitue la prudence ; ne pas labandonner, malgré les obstacles, les passions et lorgueil, constitue respectivement la force, la tempérance et la justice. Nous avons là les vertus dites cardinales.
Dans son exercice, la prudence suppose que lon ne perde pas de vue le pourquoi de laction. Sans prudence, la vertu peut devenir une fin en soi. Pensons à la vertu de lordre. Celui qui se propose dêtre ordonné comme une fin et non comme un moyen peut finir par être maniaque. La sincérité, sans prudence, peut se traduire pas un défoulement verbal. Deux vices constituent toujours le pendant de chaque vertu : lun ouvertement contraire, et lautre ayant lapparence de la vertu elle-même. Par exemple, à lordre correspondent le désordre et la maniaquerie ; à lassiduité au travail, la paresse et lactivisme.
Dans la pratique, il est plus raisonnable de développer la vertu de prudence en relation avec dautres vertus, cest pourquoi il faudra linclure à chaque âge. Il en va de même pour la force qui, sous ses deux aspects dentreprendre et de résister, permet, grâce à la volonté, de fournir leffort nécessaire à lacquisition de la bonne habitude. De toutes façons, on peut insister tout spécialement sur chacune de ces vertus, en fonction dun ensemble de variables que nous allons considérer.
Pour décider quelles vertus doivent être prioritaires à chaque âge, il faut tenir compte de différents facteurs. Concrètement :
1) les caractéristiques de lâge dont il est question
2) la nature de chaque vertu
3) la personnalité et les possibilités réelles du jeune
4) les caractéristiques et les besoins de la famille et de la société où il vit
5) les préférences et les capacités des parents
Nous allons proposer une hiérarchie des vertus, en tenant compte exclusivement des deux premiers facteurs. Cest pourquoi il convient dajouter un bref commentaire sur les autres facteurs. Un schéma de vertus à éduquer en priorité, fondé sur une théorie particulière, ne saurait être utilisé comme une base rigide qui détermine laction des parents. Tout au plus comme un support très souple, à partir duquel les parents peuvent réfléchir pour ensuite concrétiser leur action selon leur situation particulière.
Parmi les facteurs à prendre en compte, on trouve dun côté, la personnalité et les possibilités réelles du jeune et, de lautre, les préférences et les capacités des parents. Cela appelle un compromis entre ce que lon devrait faire (selon les besoins du jeune) et ce que lon veut faire (daprès nos préférences et nos capacités). On croit volontiers quil sagit uniquement de répondre aux besoins du jeune, mais la réalité montre que nous agissons mieux lorsque les choses nous plaisent.
Cest pourquoi il faudra établir un critère qui détermine quel facteur doit prévaloir en cas de désaccord. Prenons le cas de parents ayant remarqué que leur enfant était particulièrement irresponsable ; en même temps, ils mettent un point dhonneur à ce quil soit généreux ; la question serait : Quelle vertu devons-nous considérer prioritaire ?. Il nexiste pas de solution unique. On ne peut quémettre des suggestions.
Les parents ne doivent pas penser à un modèle de comportement préétabli auquel lenfant devrait aspirer. Il leur faut, en revanche, savoir quels critères fondamentaux ils veulent proposer à leurs enfants. Si ces critères sont partagés, la famille sera unie et les comportements empreints du style personnel de chacun des membres. En effet, le développement des vertus dans une famille ne signifie pas comportement uniforme, mais plutôt unité de but.
Concrètement, il sagit de cultiver de préférence la vertu permettant le mieux à lenfant de développer ses points forts au service des autres et, en même temps, de renforcer ses points faibles. La vertu à privilégier à un moment déterminé est celle qui produit la plus grande satisfaction et le développement personnel maximum.
Lattention des parents peut donc se fixer sur les aspects positifs de leurs enfants les vertus déjà raisonnablement développées et, en même temps, sur leurs insuffisances. En second lieu, la famille est une organisation naturelle qui exige le soutien de tous ses membres. Pour pouvoir vivre ensemble, apprendre des autres et les aider à saméliorer (ce qui est le devoir de tous), il faut cultiver un certain nombre de vertus. Enfin, sachant que les vertus se complètent, on peut considérer la joie comme conséquence du développement harmonieux des vertus, voire lutiliser comme critère. Sur quelles vertus les parents devraient-ils insister ? Sur celles qui vont procurer le plus de joie à toute la famille. Si la joie fait défaut, cest parce que lon se préoccupe peu de cultiver les vertus, ou que lon ne parvient pas à un équilibre raisonnable dans leur développement pensez aux vices naissant de lexcès ou du défaut de la vertu correspondante. Pour résumer, il sagit de faire coïncider nos goûts personnels avec les besoins et les goûts des autres, précisément parce que nous partageons certains critères fondamentaux. Nous venons den suggérer deux : le devoir daider les autres membres de la famille à saméliorer, et la joie.
Compte tenu du fait que chaque famille est différente, et que parents comme enfants ne demandent pas la même attention, considérons brièvement un schéma de vertus classées suivant lâge, selon les caractéristiques de chaque âge et la nature des vertus.
Jusquà 7 ans
- Obéissance
- Sincérité
- Ordre
Etant donné que les enfants de moins de 7 ans ont à peine lusage de la raison, le mieux quils puissent faire est dobéir à leurs éducateurs et si possible de bon coeur. Mais lobéissance a également son importance pour les plus grands, à la différence que, au fur et à mesure que passent les années, le discernement personnel devrait progresser de telle sorte que chacun agisse correctement de lui-même sans avoir besoin de recevoir autant dindications concrètes. De toutes façons, quel que soit lâge, le mérite est dobéir à la personne investie de lautorité, dans tout ce qui ne va pas à lencontre de la justice. Lobéissance suppose que les exigences des parents soient raisonnables. Il va falloir exiger beaucoup, mais en peu de choses, en fournissant des indications très claires, sans confusion possible.
Les enfants peuvent obéir par crainte ou parce quils ne peuvent pas faire autrement : ces motifs sont satisfaisants. Il sagit de les encourager à obéir par amour, pour aider leurs parents, et ainsi faire les premiers pas dans la vertu de générosité.
Parallèlement, il faut développer chez les enfants la vertu de sincérité. En effet après avoir exigé deux dans le domaine de lagir, il faudra peu à peu exiger deux dans le domaine de la pensée par une orientation et cette orientation des parents naura de sens que si elle concerne une réalité connue. La sincérité est aussi très liée à la pudeur, sur laquelle nous reviendrons à propos de ladolescence.
Dautre part, pour plusieurs raisons, nous avons également inclus la vertu de lordre :
1) si on ne la développe pas chez les tout petits, il est plus ardu de le faire par la suite ;
2) cest une vertu nécessaire pour rendre la vie agréable à tous ;
3) elle rassure les mères de famille, ce qui nest pas de moindre importance.
Les motifs de lordre peuvent être de type rationnel utilité de lordre bien que, encore une fois, il semble plus raisonnable de se fonder sur laffection, sur le désir qua lenfant de faire plaisir à ses parents. On peut aussi cultiver le sens du devoir pour développer la vertu de lordre, notamment par un système de petites tâches domestiques distribuées aux enfants.
Ces trois vertus constituent une base solide devant déboucher sur les vertus de létape suivante.
De 8 à 12 ans
- Force
- Persévérance
- Assiduité au travail
- Patience
- Responsabilité
- Justice
- Générosité
Comme on le verra, nous trouvons ici quatre vertus liées à la vertu cardinale de la force, deux à la vertu de la justice et une à la vertu théologale de la charité.
Les jeunes de cette tranche dâge passent par une série de transformations physiologiques à larrivée de la puberté, et il semble opportun de développer tout particulièrement la volonté pour renforcer leur caractère. Ces jeunes commencent à prendre des décisions plus personnelles, tout en ayant besoin de critères pour savoir sils sorientent correctement vers lobjet de leur effort.
Nous complétons les vertus liées à la force en introduisant des vertus qui concernent directement autrui, à savoir la responsabilité, la justice et la générosité.
De toutes façons, il est logique que les enfants de cette tranche dâge se centrent plus sur lacte que sur le destinataire. Ils ne sont pas encore très conscients de leur intimité. Cest pourquoi il sagit dobtenir quils soient persévérants, non par rapport à une personne, mais plutôt pour la satisfaction davoir surmonté un obstacle. Cest lâge des défis mais raisonnables. Comme lenfant est très conscient des règles du jeu vis-à-vis de ses camarades et des autres en général, il est sans doute opportun de linciter à développer les vertus par sens du devoir envers ses camarades, par exemple, mais sans oublier de les enthousiasmer pour un idéal qui en vaut la peine. Ils connaîtront alors la satisfaction qui résulte des efforts de dépassement de soi.
Toutes les vertus supposent lexercice de la volonté. En lisant les définitions, on remarquera quil sagit de supporter une gêne, de sefforcer continuellement de donner aux autres, datteindre un objectif, de résister à des influences nocives. Pour réaliser tout cela, il est nécessaire délever son regard et de ne pas rester attaché à des intérêts étriqués, presque mesquins.
Cest une période-clé pour édifier. Je veux dire faire en sorte que les enfants tournent leur regard vers Dieu et que ces vertus humaines contribuent à la croissance de leur foi.
Il peut paraître difficile de développer tant de vertus simultanément. Mais elles sont interdépendantes. Si lon insiste sur lune ou lautre, il est probable que lenfant saméliore également dans les autres.
Au fur et à mesure que les années passent, les jeunes ont besoin de plus de raisonnement, de meilleurs arguments pour accomplir leffort que suppose lacquisition dune bonne habitude.
Avec léveil de lintimité, nous entrons dans ladolescence, où le jeune doit faire siennes des choses quil a jusque là accomplies par imitation ou par obéissance. Cest alors quil sengage de lui-même et tout ce quil fait acquiert une nouvelle dimension.
De 13 à 15 ans
- Pudeur
- Sobriété
- Simplicité
- Sociabilité
- Amitié
- Respect
- Patriotisme
De huit à douze ans environ, les vertus mises en évidence sont liées à la force et à la justice, en tant quelles supposent ladaptation du comportement à des instructions précises. De treize à quinze ans, le jeune prenant davantage conscience de son intimité, il devient souhaitable de privilégier des vertus liées à la tempérance. Et cela afin de ne pas risquer de perdre de vue le Bien par manque de maîtrise des passions. Les parents auront remarqué que nombreux sont ceux qui donnent le mauvais exemple aux jeunes par leur recherche systématique de plaisirs superficiels.
Si, auparavant, nous avons privilégié la force, il sagit à présent dutiliser cette force pour protéger ce quil y a de plus précieux en chaque être : son intimité. Par intimité, jentends lâme, les sentiments, les pensées, et pas seulement ce qui est corporel. Les vertus de pudeur et de sobriété pourraient se résumer ainsi : reconnaître la valeur de ce que lon possède pour bien lutiliser, en accord avec des critères droits et vrais.
Quelle motivation pouvons-nous proposer aux enfants ? Je crois quil faut leur donner de vraies raisons. Ce nest pas nouveau. Mais nous, les parents, avons appris à nous comporter comme nous le faisons en imitant nos éducateurs. Et les jeunes ne sont pas enclins à nous imiter. Ils demandent des raisons. Et nous nen avons pas à leur donner. Ou, du moins, pas quils puissent accepter. Nous savons bien quil ny a pas de recette pour élever les enfants. Mais, en ce qui concerne notre façon dinformer les jeunes, je me permettrai den donner une, qui consiste à respecter la règle des trois c : que linformation soit claire, concise et changer de sujet.
En dehors de ces vertus liées à la tempérance, il semble opportun dinsister sur celles qui concernent lintimité de la personne et ses relations avec les autres : la sociabilité, lamitié, le respect et le patriotisme. Les quatre supposent un intérêt très concret pour lintimité propre et pour le bien des autres. On comprendra sans doute en quoi consiste ici laide des parents : orienter les jeunes de façon à ce quils concrétisent leur souci des autres par des actes de service. Noublions pas que ladolescent, par sa nature même, est idéaliste et a besoin de vivre des expériences nouvelles. Sans laide des parents, il est probable que des influences extérieures pernicieuses profitent de ce terrain.
Nous avons inclus une vertu qui concerne tout particulièrement cette tranche dâge: la simplicité, car ladolescent en a besoin pour pouvoir agir conformément à ses idéaux et pour saccepter tel quil est.
De 16 à 18 ans
- Prudence
- Souplesse
- Compréhension
- Loyauté
- Audace
- Humilité
- Optimisme
Les premières de ces vertus supposent la capacité de raisonner intelligemment. En effet, sans une certaine aptitude intellectuelle, il est quasiment impossible de développer pleinement ces vertus. Je veux parler des vertus de prudence, de souplesse, de compréhension, de loyauté et dhumilité. En lisant plus loin comment fonctionnent ces vertus, le lecteur comprendra pourquoi je dis cela. Je parle par exemple de sinformer continuellement, dévaluer les conséquences, de protéger une série de valeurs, de découvrir les différents facteurs qui influent sur une situation, de reconnaître ses propres limites. Cest pourquoi il convient dinsister sur ces vertus au moment où les jeunes ont une plus grande capacité intellectuelle. Durant la période précédente, nous avons souligné limportance de les informer sur le sens de ces concepts. Il faut à présent leur répéter en insistant davantage. Si, auparavant, les dangers étaient dûs à un laisser-aller des passions, à ladolescence, ils viennent probablement didées erronées. Cest là quintervient la souplesse qui permet de tirer un enseignement des différentes situations sans abandonner les critères daction personnelle. La prudence est tout aussi importante. Elle suppose que le jeune ouvre les yeux autour de lui à la recherche dune information adéquate, en mesurant les conséquences déventuelles actions avant de prendre une décision. Les parents doivent se rendre compte quà cet âge, il est bien difficile et peu souhaitable dexiger de leurs enfants quils fassent telle ou telle chose. Il sagira plutôt dobtenir à tout prix quils réfléchissent avant de prendre une décision, en leur rappelant continuellement limportance détablir des critères permettant de décider raisonnablement. Il faut obliger les jeunes à se poser la question du sens de leur vie, afin quils agissent de façon cohérente par rapport à certaines valeurs. Doù limportance de la loyauté.
Après les trois vertus liées à la prudence, nous avons choisi de traiter une vertu liée à la justice, une autre liée à la force et une autre liée à la tempérance. Nous nous trouvons à un âge plus mûr et cherchons, dans le développement des vertus, un équilibre entre sappuyer sur ce quil y a de permanent, reconnaître avec réalisme les possibilités personnelles, et agir de façon audacieuse pour atteindre un bien authentique. A savoir, la loyauté, lhumilité et laudace.
Mais nous ne voudrions pas omettre une vertu supplémentaire, très importante dans une société caractérisée par la haine et le désespoir : il sagit de loptimisme. Cest une vertu à développer chez les plus petits et à tous les âges, mais nous lavons incluse dans celles de ladolescence, car il est possible dacquérir par la volonté lhabitude de voir dabord le positif, à condition de savoir ce qui est bon. Il sagit en outre de le voir chez les autres, pour les aider à saméliorer. A cet âge, le jeune devrait se livrer au service des autres, animé par une espérance surnaturelle, sachant que cela en vaut la peine.
Conclusion
Au terme de cette introduction sur léducation des vertus humaines, jaimerai insister sur le fait que la vie familiale est quelque chose de spontané, débordant damour et de joie. Les indications données constituent non pas un plan mais un ensemble de suggestions adressées aux parents pour les aider à choisir avec plus de prudence le meilleur pour eux et pour leurs enfants. Cependant, il se révèle parfois utile de structurer la vie spontanée afin de mieux la connaître et de lapprécier davantage. Cest pourquoi nous avons inclus à la fin de ce livre un tableau des vertus classées suivant lâge, ainsi que la définition de chacune des vingt-quatre vertus commentées dans ce livre.
Le fait de souligner une vertu ou lautre na pas grande importance. Ce qui nous intéresse, cest le développement des vertus dans leur ensemble. Cest pourquoi il est recommandé aux parents de lutter pour se dépasser personnellement dans les vertus quils souhaitent former chez leurs enfants.
De toutes façons, chacun a ses préférences. Les vertus que je recommanderais tout spécialement au parents ? Persévérance, patience et optimisme.