INTRODUCTION :

L’EDUCATION DES VERTUS HUMAINES CHEZ LES ENFANTS

Précision terminologique

Pour débuter, il nous semble important de préciser le sens des termes que nous allons employer. Le sujet des vertus est complexe, car on peut aussi bien parler de vertus théologales, de vertus cardinales, mais sans savoir ce qui les distingue les unes des autres. Nous traiterons seulement ici de deux ou trois aspects de ce vaste sujet.
Il existe trois vertus théologales - foi, espérance et charité -. D’après Saint Thomas, on peut les considérer comme de bonnes habitudes, infusées par Dieu dans les puissances de l’âme pour les préparer à oeuvrer selon la raison illuminée par la foi. Elles ont pour objet Dieu lui-même. On parle de vertus infuses, reçues directement par Dieu. Cependant, il existe un autre type de vertus également infuses : les vertus morales surnaturelles. Elles n’ont pas pour objet direct Dieu lui-même, mais ordonnent droitement les actes humains vers leur fin ultime qui est surnaturelle. Les vertus morales naturelles sont acquises. L’homme peut en effet s’efforcer de les cultiver au maximum. La vertu acquise diffère de la vertu infuse dans la mesure où cette dernière est ordonnée à la fin ultime surnaturelle tandis que la première améliore la personne au niveau naturel.
Nous limiterons notre propos aux vertus acquises, qui sont des vertus morales naturelles ou humaines. Quatre d’entre elles sont appelées vertus cardinales - prudence, justice, force et tempérance - car toutes les autres y sont rattachées : soit parce qu’elles sont nécessaires au bon développement d’une vertu cardinale, soit parce qu’elles sont d’un type différent mais subordonnées à une vertu cardinale, soit parce qu’elles leurs sont annexes.
On peut remarquer que, jusqu’ici, nous n’avons pas évoqué le terme de vertu sociale. Au sens strict, une telle vertu n’existe pas. L’adjectif est utilisé pour souligner le rôle que jouent certaines vertus dans le service des autres et de la société. Personnellement, je crois qu’établir une distinction entre individu et société peut prêter à confusion car la société n’existe qu’en fonction des personnes qui la constituent et la personne est un être social ayant besoin des autres. C’est pourquoi nous préférons qualifier toutes les vertus de sociales, même si l’une ou l’autre d’entre elles a une connotation plus sociale. Ainsi nous parlerons d’un ensemble de vertus qui aide chaque personne à être plus maîtresse d’elle-même pour mieux servir les autres.
Il me semble que tous les parents aimeraient voir leurs enfants ordonnés, généreux, sincères, responsables, loyaux, mais la différence est grande entre le désir confus qui se reflète dans l’expression “Ah si seulement...” et un résultat désiré, prévu et, au moins en partie, accessible (définition d’un objectif). Pour que l’éducation des vertus humaines chez les enfants soit effective, elle doit supposer une intention délibérée des parents, qui doivent donc être convaincus de leur importance.

Pourquoi faut-il s’intéresser aux vertus ?

Nous avons dit, dans le prologue, que la famille est une organisation naturelle dont les relations touchent au plus profond de chaque personne : son intimité.
C’est précisément pourquoi, dans la famille, la personne est acceptée telle qu’elle est, plus pour ce qu’elle est que pour ce qu’elle fait. Dans les autres structures de la société, nous remarquons que les personnes sont acceptées d’après la manière dont elles remplissent leur fonction. Par exemple, le joueur de football est accepté s’il met des buts, et rejeté dès qu’il n’en met plus. A l’école, en principe, l’élève est accepté dans la mesure où il étudie, rejeté s’il ne le fait pas. Dans la famille, au contraire, chaque membre est accepté pour ce qu’il est et ce qu’il a d’unique. L’établissement scolaire n’est pas une organisation naturelle mais culturelle et, à travers la culture, il soutient les parents dans la formation des élèves. Cependant les parents, en tant que premiers éducateurs de leurs enfants, et vivant avec eux au sein de l’institution naturelle qu’est la famille, doivent cultiver, dans l’éducation, ce qui lui est propre. Il s’agit concrètement de développer les bonnes habitudes que sont les vertus humaines. Il ne serait pas normal de déléguer cette fonction à l’établissement scolaire.
Cela constitue une raison importante pour se dédier intentionnellement au développement des vertus humaines, propre à la famille. Mais il faut aussi reconnaître que la maturité humaine - “laquelle se manifeste surtout dans une certaine stabilité d’esprit, dans la capacité de prendre des décisions pondérées et dans une façon droite de juger les événements et les hommes” - au niveau naturel, découle du développement harmonieux des vertus humaines. Pour être encore plus précis, l’ “idéal” - qui n’est pas réaliste - serait que les enfants arrivent à l’école avec toutes les vertus si bien développées qu’il suffirait simplement de les aider à intérioriser la culture. Comme nous sommes loin de la réalité, l’école se contente de compléter le travail des parents, qui reste primordial.
D’autre part, ayant parlé d’”objectifs”, ce livre peut paraître très technique. Il n’en est rien. Les objectifs ne supposent pas tant une formulation écrite ou une planification d’activités, que la volonté de s’efforcer à les atteindre. Si cette volonté fait défaut, l’objectif cesse automatiquement d’en être un pour rejoindre le domaine du rêve. Il sera parfois utile de formuler un objectif par écrit ou de planifier des activités en vue d’obtenir certains résultats, mais l’essentiel est dans la volonté que l’on met à atteindre les objectifs fixés.
Retenons que, pour éduquer les enfants aux vertus humaines, les parents vont plus volontiers profiter du quotidien vécu en famille que planifier des activités. Mais pour renforcer l’aspect intentionnel de cette éducation, ils peuvent réfléchir sur deux aspects constitutifs de la vertu : l’intensité avec laquelle on la vit et la droiture d’intention qu’on y met.

Comment augmenter l’aspect intentionnel

Si l’on se penche sur une bonne habitude, on remarque qu’elle peut être vécue avec plus ou moins d’intensité. On peut, par exemple, vivre la générosité uniquement avec les amis, ou avec les gens qui ont davantage besoin d’attention. On peut agir avec générosité seulement lorsqu’on est en pleine forme, ou également lorsqu’on est fatigué. Si nous, parents, nous rendons compte des possibilités de chaque vertu, il sera sans nul doute plus facile d’agir conformément à ce que nous voulons. Et il ne s’agit pas seulement de l’intensité avec laquelle les enfants vivent les vertus, mais également de la droiture d’intention qui les font agir ainsi. Un exemple peut nous aider : deux jeunes remettent vingt euros à un camarade. Le premier le fait en sachant que le père de son ami est malade et que sa famille a besoin d’argent pour manger ; l’autre pour éviter les coups que son camarade lui a promis s’il ne le fait pas. La différence de motivation rend l’acte totalement différent. Les parents devraient aussi réfléchir à une classification en fonction de l’âge de l’enfant.
Si les parents ont une idée précise de ce que signifie chacune des vertus qu’ils souhaitent voir se développer chez leurs enfants, il sera plus facile pour eux de s’y appliquer. C’est pourquoi nous donnerons, plus loin, la définition d’un certain nombre de vertus.
On peut également augmenter l’aspect intentionnel en reconnaissant les moyens dont on dispose pour aider son enfant. On connaît la valeur de l’exemple dans l’éducation. On a même dit que l’éducation se fait plus par ce que l’on est que par ce que l’on fait, bien que cela me semble parfaitement inexact. Je pense que nous éduquons par la relation intrinsèque entre être et faire. C’est pourquoi l’exemple qui éduque n’est pas nécessairement un exemple de perfection à l’inverse de celui de la personne qui lutte pour se dépasser, c’est-à-dire pour être plus et mieux ce qu’elle est. Cette lutte sur soi suppose d’exiger de sa volonté et d’éclairer son intelligence. C’est dans ces deux axes qu’il s’agit d’éduquer les enfants.
On acquiert une bonne habitude par une répétition d’actes, qui implique nécessairement un certain type d’exigences. Les parents peuvent exiger de leurs enfants qu’ils fassent certaines choses — exigences positives — ou qu’ils ne les fassent pas — exigences préventives. Ce dernier type d’exigences consiste soit à éviter un danger inutile à l’enfant, soit à l’empêcher de développer une mauvaise habitude.
Il semble logique que des exigences positives soient nécessaires pour développer certaines vertus, notamment l’ordre et la persévérance. On peut exiger dans le domaine de l’action, mais également dans celui de la pensée, ce qui est nécessaire à toute bonne orientation. Celui qui a pour charge d’orienter reçoit des informations qu’il transmet à différentes personnes. Ce faisant, il exige une réflexion de la part des intéressés et les soutient ensuite avec affection. Cette façon d’exiger — en donnant des explications, en demandant le pourquoi, en approfondissant les motifs — semble plus évidente pour d’autres vertus, telles que la loyauté.

Deux problèmes

A force de parler d’exigences, on peut redouter certains dangers, notamment celui de détruire toute spontanéité et toute créativité chez l’enfant. En un mot, nous n’en faisons pas un être libre. Un autre problème serait que ces habitudes finissent par se réduire à une pure routine sans signification.
En ce qui concerne la liberté, l’explication est très simple. L’une des composantes de la liberté est la capacité de choisir entre plusieurs possibilités. Imaginons qu’il s’agisse de choisir entre jouer au tennis et ne pas y jouer. Si la personne sait y jouer, il existe la possibilité de choisir. Si elle ne sait pas jouer, elle n’est pas libre de choisir. Cela peut être transposé dans le domaine de la vertu. A seize ans, un jeune veut être généreux, sans avoir appris à l’être. Que va-t-il se passer ? Il ne le sera pas car il n’a pas le choix. On ne peut acquérir une habitude en un instant, car c’est la répétition même de l’acte qui permet de parler d’habitude.
En ce qui concerne la routine, on comprend par ce terme la réalisation d’une activité sans signification. La routine apparaît inévitablement si nous considérons la vertu comme une fin en soi et non comme un moyen pour atteindre le Bien. Par exemple, l’ordre pour l’ordre n’a pas de sens : le but est d’obtenir un climat de paix ou une réelle efficacité. Or, certains actes, de par le niveau de développement de la vertu et l’âge de l’enfant, vont être ordonnés à une fin déterminée. Le jeune enfant, en effet, cultive la persévérance en attachant ses lacets. La finalité est claire pour l’enfant. Tandis que les adultes attachent leurs lacets machinalement, en pensant à autre chose. Nous n’allons pas en déduire que cet acte assurément routinier perd tout son sens. En l’occurrence, grâce à l’acquisition d’une aptitude, il devient possible de porter ses efforts sur des choses plus importantes, ou mieux adaptées aux capacités de la personne. En un mot, l’on doit profiter de son acquis pour continuer de s’améliorer.

Vertus, âges et motivations

Deux vertus sous-tendent toutes les autres. Je veux parler de la prudence et de la force. Sans elles, pas de vertu possible. “Choisir le bien constitue la prudence ; ne pas l’abandonner, malgré les obstacles, les passions et l’orgueil, constitue respectivement la force, la tempérance et la justice”. Nous avons là les vertus dites cardinales.
Dans son exercice, la prudence suppose que l’on ne perde pas de vue le pourquoi de l’action. Sans prudence, la vertu peut devenir une fin en soi. Pensons à la vertu de l’ordre. Celui qui se propose d’être ordonné comme une fin et non comme un moyen peut finir par être maniaque. La sincérité, sans prudence, peut se traduire pas un défoulement verbal. Deux vices constituent toujours le pendant de chaque vertu : “l’un ouvertement contraire, et l’autre ayant l’apparence de la vertu elle-même”. Par exemple, à l’ordre correspondent le désordre et la maniaquerie ; à l’assiduité au travail, la paresse et l’activisme.
Dans la pratique, il est plus raisonnable de développer la vertu de prudence en relation avec d’autres vertus, c’est pourquoi il faudra l’inclure à chaque âge. Il en va de même pour la force qui, sous ses deux aspects d’entreprendre et de résister, permet, grâce à la volonté, de fournir l’effort nécessaire à l’acquisition de la bonne habitude. De toutes façons, on peut insister tout spécialement sur chacune de ces vertus, en fonction d’un ensemble de variables que nous allons considérer.
Pour décider quelles vertus doivent être prioritaires à chaque âge, il faut tenir compte de différents facteurs. Concrètement :

1) les caractéristiques de l’âge dont il est question
2) la nature de chaque vertu
3) la personnalité et les possibilités réelles du jeune
4) les caractéristiques et les besoins de la famille et de la société où il vit
5) les préférences et les capacités des parents

Nous allons proposer une hiérarchie des vertus, en tenant compte exclusivement des deux premiers facteurs. C’est pourquoi il convient d’ajouter un bref commentaire sur les autres facteurs. Un schéma de vertus à éduquer en priorité, fondé sur une théorie particulière, ne saurait être utilisé comme une base rigide qui détermine l’action des parents. Tout au plus comme un support très souple, à partir duquel les parents peuvent réfléchir pour ensuite concrétiser leur action selon leur situation particulière.
Parmi les facteurs à prendre en compte, on trouve d’un côté, la personnalité et les possibilités réelles du jeune et, de l’autre, les préférences et les capacités des parents. Cela appelle un compromis entre ce que l’on devrait faire (selon les besoins du jeune) et ce que l’on veut faire (d’après nos préférences et nos capacités). On croit volontiers qu’il s’agit uniquement de répondre aux besoins du jeune, mais la réalité montre que nous agissons mieux lorsque les choses nous plaisent.
C’est pourquoi il faudra établir un critère qui détermine quel facteur doit prévaloir en cas de désaccord. Prenons le cas de parents ayant remarqué que leur enfant était particulièrement irresponsable ; en même temps, ils mettent un point d’honneur à ce qu’il soit généreux ; la question serait : “Quelle vertu devons-nous considérer prioritaire ?”. Il n’existe pas de solution unique. On ne peut qu’émettre des suggestions.
Les parents ne doivent pas penser à un modèle de comportement préétabli auquel l’enfant devrait aspirer. Il leur faut, en revanche, savoir quels critères fondamentaux ils veulent proposer à leurs enfants. Si ces critères sont partagés, la famille sera unie et les comportements empreints du style personnel de chacun des membres. En effet, le développement des vertus dans une famille ne signifie pas comportement uniforme, mais plutôt unité de but.
Concrètement, il s’agit de cultiver de préférence la vertu permettant le mieux à l’enfant de développer ses points forts au service des autres et, en même temps, de renforcer ses points faibles. La vertu à privilégier à un moment déterminé est celle qui produit la plus grande satisfaction et le développement personnel maximum.
L’attention des parents peut donc se fixer sur les aspects positifs de leurs enfants — les vertus déjà raisonnablement développées — et, en même temps, sur leurs insuffisances. En second lieu, la famille est une organisation naturelle qui exige le soutien de tous ses membres. Pour pouvoir vivre ensemble, apprendre des autres et les aider à s’améliorer (ce qui est le devoir de tous), il faut cultiver un certain nombre de vertus. Enfin, sachant que les vertus se complètent, on peut considérer la joie comme conséquence du développement harmonieux des vertus, voire l’utiliser comme critère. Sur quelles vertus les parents devraient-ils insister ? Sur celles qui vont procurer le plus de joie à toute la famille. Si la joie fait défaut, c’est parce que l’on se préoccupe peu de cultiver les vertus, ou que l’on ne parvient pas à un équilibre raisonnable dans leur développement — pensez aux vices naissant de l’excès ou du défaut de la vertu correspondante. Pour résumer, il s’agit de faire coïncider nos goûts personnels avec les besoins et les goûts des autres, précisément parce que nous partageons certains critères fondamentaux. Nous venons d’en suggérer deux : le devoir d’aider les autres membres de la famille à s’améliorer, et la joie.
Compte tenu du fait que chaque famille est différente, et que parents comme enfants ne demandent pas la même attention, considérons brièvement un schéma de vertus classées suivant l’âge, selon les caractéristiques de chaque âge et la nature des vertus.

Jusqu’à 7 ans

- Obéissance
- Sincérité
- Ordre

Etant donné que les enfants de moins de 7 ans ont à peine l’usage de la raison, le mieux qu’ils puissent faire est d’obéir à leurs éducateurs et si possible de bon coeur. Mais l’obéissance a également son importance pour les plus grands, à la différence que, au fur et à mesure que passent les années, le discernement personnel devrait progresser de telle sorte que chacun agisse correctement de lui-même sans avoir besoin de recevoir autant d’indications concrètes. De toutes façons, quel que soit l’âge, le mérite est d’obéir à la personne investie de l’autorité, dans tout ce qui ne va pas à l’encontre de la justice. L’obéissance suppose que les exigences des parents soient raisonnables. Il va falloir exiger beaucoup, mais en peu de choses, en fournissant des indications très claires, sans confusion possible.
Les enfants peuvent obéir par crainte ou parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement : ces motifs sont satisfaisants. Il s’agit de les encourager à obéir par amour, pour aider leurs parents, et ainsi faire les premiers pas dans la vertu de générosité.
Parallèlement, il faut développer chez les enfants la vertu de sincérité. En effet après avoir exigé d’eux dans le domaine de l’agir, il faudra peu à peu exiger d’eux dans le domaine de la pensée — par une orientation — et cette orientation des parents n’aura de sens que si elle concerne une réalité connue. La sincérité est aussi très liée à la pudeur, sur laquelle nous reviendrons à propos de l’adolescence.
D’autre part, pour plusieurs raisons, nous avons également inclus la vertu de l’ordre :
1) si on ne la développe pas chez les tout petits, il est plus ardu de le faire par la suite ;
2) c’est une vertu nécessaire pour rendre la vie agréable à tous ;
3) elle rassure les mères de famille, ce qui n’est pas de moindre importance.
Les motifs de l’ordre peuvent être de type rationnel — utilité de l’ordre — bien que, encore une fois, il semble plus raisonnable de se fonder sur l’affection, sur le désir qu’a l’enfant de faire plaisir à ses parents. On peut aussi cultiver le sens du devoir pour développer la vertu de l’ordre, notamment par un système de petites tâches domestiques distribuées aux enfants.
Ces trois vertus constituent une base solide devant déboucher sur les vertus de l’étape suivante.

De 8 à 12 ans

- Force
- Persévérance
- Assiduité au travail
- Patience
- Responsabilité
- Justice
- Générosité

Comme on le verra, nous trouvons ici quatre vertus liées à la vertu cardinale de la force, deux à la vertu de la justice et une à la vertu théologale de la charité.
Les jeunes de cette tranche d’âge passent par une série de transformations physiologiques à l’arrivée de la puberté, et il semble opportun de développer tout particulièrement la volonté pour renforcer leur caractère. Ces jeunes commencent à prendre des décisions plus personnelles, tout en ayant besoin de critères pour savoir s’ils s’orientent correctement vers l’objet de leur effort.
Nous complétons les vertus liées à la force en introduisant des vertus qui concernent directement autrui, à savoir la responsabilité, la justice et la générosité.
De toutes façons, il est logique que les enfants de cette tranche d’âge se centrent plus sur l’acte que sur le destinataire. Ils ne sont pas encore très conscients de leur intimité. C’est pourquoi il s’agit d’obtenir qu’ils soient persévérants, non par rapport à une personne, mais plutôt pour la satisfaction d’avoir surmonté un obstacle. C’est l’âge des défis — mais raisonnables. Comme l’enfant est très conscient des règles du jeu vis-à-vis de ses camarades et des autres en général, il est sans doute opportun de l’inciter à développer les vertus par sens du devoir envers ses camarades, par exemple, mais sans oublier de les enthousiasmer pour un idéal qui en vaut la peine. Ils connaîtront alors la satisfaction qui résulte des efforts de dépassement de soi.
Toutes les vertus supposent l’exercice de la volonté. En lisant les définitions, on remarquera qu’il s’agit de “supporter une gêne”, de “s’efforcer continuellement de donner aux autres”, d’”atteindre un objectif”, de “résister à des influences nocives”. Pour réaliser tout cela, il est nécessaire d’élever son regard et de ne pas rester attaché à des intérêts étriqués, presque mesquins.
C’est une période-clé pour édifier. Je veux dire faire en sorte que les enfants tournent leur regard vers Dieu et que ces vertus humaines contribuent à la croissance de leur foi.
Il peut paraître difficile de développer tant de vertus simultanément. Mais elles sont interdépendantes. Si l’on insiste sur l’une ou l’autre, il est probable que l’enfant s’améliore également dans les autres.
Au fur et à mesure que les années passent, les jeunes ont besoin de plus de raisonnement, de meilleurs arguments pour accomplir l’effort que suppose l’acquisition d’une bonne habitude.
Avec l’éveil de l’intimité, nous entrons dans l’adolescence, où le jeune doit faire siennes des choses qu’il a jusque là accomplies par imitation ou par obéissance. C’est alors qu’il s’engage de lui-même et tout ce qu’il fait acquiert une nouvelle dimension.

De 13 à 15 ans

- Pudeur
- Sobriété
- Simplicité
- Sociabilité
- Amitié
- Respect
- Patriotisme

De huit à douze ans environ, les vertus mises en évidence sont liées à la force et à la justice, en tant qu’elles supposent l’adaptation du comportement à des instructions précises. De treize à quinze ans, le jeune prenant davantage conscience de son intimité, il devient souhaitable de privilégier des vertus liées à la tempérance. Et cela afin de ne pas risquer de perdre de vue le Bien par manque de maîtrise des passions. Les parents auront remarqué que nombreux sont ceux qui donnent le mauvais exemple aux jeunes par leur recherche systématique de plaisirs superficiels.
Si, auparavant, nous avons privilégié la force, il s’agit à présent d’utiliser cette force pour protéger ce qu’il y a de plus précieux en chaque être : son intimité. Par intimité, j’entends l’âme, les sentiments, les pensées, et pas seulement ce qui est corporel. Les vertus de pudeur et de sobriété pourraient se résumer ainsi : reconnaître la valeur de ce que l’on possède pour bien l’utiliser, en accord avec des critères droits et vrais.
Quelle motivation pouvons-nous proposer aux enfants ? Je crois qu’il faut leur donner de vraies raisons. Ce n’est pas nouveau. Mais nous, les parents, avons appris à nous comporter comme nous le faisons en imitant nos éducateurs. Et les jeunes ne sont pas enclins à nous imiter. Ils demandent des raisons. Et nous n’en avons pas à leur donner. Ou, du moins, pas qu’ils puissent accepter. Nous savons bien qu’il n’y a pas de recette pour élever les enfants. Mais, en ce qui concerne notre façon d’informer les jeunes, je me permettrai d’en donner une, qui consiste à respecter la règle des trois “c” : que l’information soit claire, concise — et changer de sujet.
En dehors de ces vertus liées à la tempérance, il semble opportun d’insister sur celles qui concernent l’intimité de la personne et ses relations avec les autres : la sociabilité, l’amitié, le respect et le patriotisme. Les quatre supposent un intérêt très concret pour l’intimité propre et pour le bien des autres. On comprendra sans doute en quoi consiste ici l’aide des parents : orienter les jeunes de façon à ce qu’ils concrétisent leur souci des autres par des actes de service. N’oublions pas que l’adolescent, par sa nature même, est idéaliste et a besoin de vivre des expériences nouvelles. Sans l’aide des parents, il est probable que des influences extérieures pernicieuses profitent de ce terrain.
Nous avons inclus une vertu qui concerne tout particulièrement cette tranche d’âge: la simplicité, car l’adolescent en a besoin pour pouvoir agir conformément à ses idéaux et pour s’accepter tel qu’il est.

De 16 à 18 ans

- Prudence
- Souplesse
- Compréhension
- Loyauté
- Audace
- Humilité
- Optimisme

Les premières de ces vertus supposent la capacité de raisonner intelligemment. En effet, sans une certaine aptitude intellectuelle, il est quasiment impossible de développer pleinement ces vertus. Je veux parler des vertus de prudence, de souplesse, de compréhension, de loyauté et d’humilité. En lisant plus loin comment fonctionnent ces vertus, le lecteur comprendra pourquoi je dis cela. Je parle par exemple de “s’informer continuellement”, d’“évaluer les conséquences”, de “protéger une série de valeurs”, de “découvrir les différents facteurs qui influent sur une situation”, de “reconnaître ses propres limites”. C’est pourquoi il convient d’insister sur ces vertus au moment où les jeunes ont une plus grande capacité intellectuelle. Durant la période précédente, nous avons souligné l’importance de les informer sur le sens de ces concepts. Il faut à présent leur répéter en insistant davantage. Si, auparavant, les dangers étaient dûs à un laisser-aller des passions, à l’adolescence, ils viennent probablement d’idées erronées. C’est là qu’intervient la souplesse qui permet de tirer un enseignement des différentes situations sans abandonner les critères d’action personnelle. La prudence est tout aussi importante. Elle suppose que le jeune ouvre les yeux autour de lui à la recherche d’une information adéquate, en mesurant les conséquences d’éventuelles actions avant de prendre une décision. Les parents doivent se rendre compte qu’à cet âge, il est bien difficile et peu souhaitable d’exiger de leurs enfants qu’ils fassent telle ou telle chose. Il s’agira plutôt d’obtenir à tout prix qu’ils réfléchissent avant de prendre une décision, en leur rappelant continuellement l’importance d’établir des critères permettant de décider raisonnablement. Il faut obliger les jeunes à se poser la question du sens de leur vie, afin qu’ils agissent de façon cohérente par rapport à certaines valeurs. D’où l’importance de la loyauté.
Après les trois vertus liées à la prudence, nous avons choisi de traiter une vertu liée à la justice, une autre liée à la force et une autre liée à la tempérance. Nous nous trouvons à un âge plus mûr et cherchons, dans le développement des vertus, un équilibre entre s’appuyer sur ce qu’il y a de permanent, reconnaître avec réalisme les possibilités personnelles, et agir de façon audacieuse pour atteindre un bien authentique. A savoir, la loyauté, l’humilité et l’audace.
Mais nous ne voudrions pas omettre une vertu supplémentaire, très importante dans une société caractérisée par la haine et le désespoir : il s’agit de l’optimisme. C’est une vertu à développer chez les plus petits et à tous les âges, mais nous l’avons incluse dans celles de l’adolescence, car il est possible d’acquérir par la volonté l’habitude de voir d’abord le positif, à condition de savoir ce qui est “bon”. Il s’agit en outre de le voir chez les autres, pour les aider à s’améliorer. A cet âge, le jeune devrait se livrer au service des autres, animé par une espérance surnaturelle, sachant que cela en vaut la peine.

Conclusion

Au terme de cette introduction sur l’éducation des vertus humaines, j’aimerai insister sur le fait que la vie familiale est quelque chose de spontané, débordant d’amour et de joie. Les indications données constituent non pas un plan mais un ensemble de suggestions adressées aux parents pour les aider à choisir avec plus de prudence le meilleur pour eux et pour leurs enfants. Cependant, il se révèle parfois utile de structurer la vie spontanée afin de mieux la connaître et de l’apprécier davantage. C’est pourquoi nous avons inclus à la fin de ce livre un tableau des vertus classées suivant l’âge, ainsi que la définition de chacune des vingt-quatre vertus commentées dans ce livre.
Le fait de souligner une vertu ou l’autre n’a pas grande importance. Ce qui nous intéresse, c’est le développement des vertus dans leur ensemble. C’est pourquoi il est recommandé aux parents de lutter pour se dépasser personnellement dans les vertus qu’ils souhaitent former chez leurs enfants.
De toutes façons, chacun a ses préférences. Les vertus que je recommanderais tout spécialement au parents ? Persévérance, patience et optimisme.

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